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plante?
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dorée?
La France n'est
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lit Playboy
Enfin quelqu'un
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Vous êtes un légume
A quoi ça sert, de recenser tous les gènes
d'une plante obscure dont personne n'avait entendu parler? Eh
bien, un jour, peut-être, à combattre la famine.
Aimez-vous l'idée d'être
un cousin du brocoli?
Discutez-en dans le forum Science-Presse/Médito
A entendre les biologistes spécialistes des végétaux,
le
décodage du génome de l'Arabidopsis, ou plante
à moutarde, la semaine dernière, était
l'événement le plus important depuis que l'homme
a marché sur la Lune. Difficile de voir pourquoi, quand
on sait que cette plante, bien que proche cousine du brocoli
et du chou, a fort peu d'utilités pratiques: elle ne se
mange pas, ne produit rien qui puisse s'approcher d'un médicament
et ne sert même pas de plante d'intérieur.
Par ailleurs, depuis quatre ans, on avait
déjà séquencé le génome
d'une trentaine de bactéries,
dont celle responsable du choléra.
On a séquencé le bagage
génétique d'un ver. D'une mouche à fruit.
Ceux de la souris et du chat sont en bonne voie. Et par-dessus
tout, on a complété celui de l'être humain
(lire cet article). En quoi le
fait d'avoir accompli la même chose avec une plante est-il
aussi important, au point de se mériter pas moins de six
articles dans les revues Nature
et Science, et d'avoir mobilisé depuis 1996 un
consortium international comparable à celui qui a accouché
du génome humain?
"La plupart des principes qui fonctionnent avec cette
petite plante fonctionnent
de la même façon dans des plantes plus utilisées
en agriculture", explique à Science News
Gerald R. Fink, directeur de l'Institut Whitehead pour les recherche
biomédicales à Cambridge (Massachusetts), l'un
des centres de recherche impliqués dans cette percée.
En conséquence, comprendre comment fonctionnent les gènes
de cette plante, qui sert de "rat de laboratoire" aux
scientifiques depuis 20 ans, aidera à comprendre les gènes
des autres plantes. Y compris des plantes vitales pour nous,
comme le riz ou le blé.
Avoir plus de respect pour les légumes
Et ce n'est pas tout. La fenêtre que le séquençage
de l'Arabidopsis thaliana ouvre sur les autres plantes
est beaucoup plus riche que prévu: cette plante a un nombre
étonnamment élevé de gènes -soit
25 498, contre 13 600 pour la mouche à fruit. Ce total
en fait le plus complexe génome, parmi tous ceux décodés
jusqu'ici, et oblige à réévaluer nos préjugés
sur les végétaux: ils ne sont pas aussi simples
qu'ils en ont l'air.
"Cela nous souligne que nous nous devons d'avoir plus
de respect pour les plantes", a déclaré le
Prix Nobel James Watson, co-découvreur, il y a un demi-siècle,
de la double hélice de l'ADN, invité d'honneur
à la cérémonie qui, au Laboratoire Cold
Spring Harbor (New York), marquait l'aboutissement de cinq années
de travail pour des chercheurs de cinq pays (Etats-Unis, France,
Royaume-Uni, Allemagne, Japon).
De ces 25 500 gènes, environ les deux tiers sont des
doublons, ce qui constitue la plus grande énigme derrière
ce séquençage. Certains scientifiques, rapporte
le service d'information de la revue Nature, croient qu'en
réalité, ces doublons ne seraient pas tout à
fait des doublons, mais des versions très légèrement
différentes d'un même gène, accomplissant
des fonctions différentes. Ou encore, chacune des deux
"versions" d'un même gène ne serait "éveillée"
que sous des climats différents, ce qui témoignerait
donc de l'évolution de la plante, au fil des dizaines
de millions d'années.
Le légume, notre cousine
L'évolution est justement l'autre élément-clef
derrière cette masse de données. Ces "doublons"
sont bien plus anciens que l'Arabidopsis elle-même. Une
des équipes évalue sommairement à au
moins 100 millions d'années le moment où le génome
a créé ces copies de sûreté, une époque
où l'ancêtre de cette plante était aussi
éloigné de l'Arabidopsis que les premiers mammifères
l'étaient de nous. Cela veut dire que toutes les plantes
vivant aujourd'hui et qui descendent de cet ancêtre commun,
ont la majorité de leurs gènes en commun avec l'Arabidopsis.
Mais ce n'est pas tout. Les plantes à fleurs ont commencé
à évoluer il y a 200 millions d'années.
Aujourd'hui, on en compte 250 000, dans tous les coins de la
planète, des plus froids aux plus chauds. Toutes ont des
caractéristiques communes, comme de convertir l'énergie
solaire et le dioxyde de carbone en "nourriture" pour
leur croissance -toutes ont donc des milliers de gènes
en commun avec l'Arabidopsis, elle aussi plante à fleurs.
Remontons plus loin encore : la division entre les animaux
et les plantes a eu lieu il y a environ 1,5 milliard d'années,
à une époque où la vie sur Terre se limitait
vraisemblablement à des organismes composés d'une
seule cellule. Cela signifie donc qu'une partie des gènes
des humains et de l'Arabidopsis trouve son origine dans
ces organismes d'il y a plus d'un milliard et demi d'années
-et par conséquent, que nous partageons une partie de
nos gènes avec l'Arabidopsis, et avec les 250 000 plantes
à fleurs de la planète.
Que cela nous plaise ou non, nous sommes les cousins de la
plante à moutarde.
"Il y a environ 100 gènes dans l'Arabidopsis qui
sont reliés de très près aux gènes
des maladies humaines -maladies telles que la surdité
héréditaire, la cécité et les cancers",
explique le Dr Mike Bevan, coordonnateur européen de l'Initiative
Génome Arabidopsis.
En conséquence, apprendre comment ça marche
au sein de l'Arabidopsis pourrait contribuer à faire pousser
des plants de blé ou de riz plus résistants. En
fait, cela pourrait même s'avérer moins controversé
qu'avec les actuels organismes modifiés génétiquement
(OGM), puisqu'avec la connaissance intime d'une plante, on pourrait
en théorie rendre plus résistante une plante grâce
à un de ses propres gènes, plutôt qu'en lui
insérant un gène étranger.
Avec ces 25 500 gènes et ces 125 millions de paires
de base en main, les biologistes pourraient par exemple identifier
les régions du génome végétal qui
permettent d'améliorer la croissance. On pourrait dès
lors imaginer des plants mieux adapté au climat d'un pays
en voie de développement, ou spécialement conçus
pour " aspirer " davantage de dioxyde de carbone. En
bref, le décodage du génome de cette modeste plante
pourrait, à long terme, avoir encore plus d'impact que
le décodage du " banal " génome humain...
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