C'est l'annonce qu'un jeune Français,
subissant une thérapie génique depuis
1999, avait développé une forme inattendue
de leucémie, qui a fait résonner le
signal d'alarme (voir
ce texte). La France a immédiatement
suspendu les expériences en cours, qui visaient
à traiter, par la thérapie géniquie,
une forme sévère d'immunodéficience
dont souffraient huit enfants. Ce mal, qui se caractérise
par un système immunitaire incapable de lutter
contre les virus et bactéries, oblige ces
enfants à vivre dans un milieu totalement
aseptisé, d'où leur surnom d'enfant-bulle.
Le seul traitement connu est une transplantation
de moelle osseuse.
Les Etats-Unis ont du même souffle
eux aussi mis sur la glace tout éventuel
traitement de ce mal par la thérapie génique,
tant qu'on n'en saura pas plus sur la leucémie
qu'a soudain développé l'enfant de
trois ans. Mais le pays de l'Oncle Sam s'est bien
gardé de mettre un embargo sur la thérapie
génique dans son ensemble: car au moment
même où cette nouvelle arrivait de
France, une autre, parue dans la revue américaine
Science, faisait état d'un succès
-auprès de souris, cette fois- dans le cadre
d'un traitement d'une thérapie génique
contre la maladie de Parkinson. Succès tel
qu'il devrait conduire, d'ici peu, au
lancement des premiers tests sur des humains.
Souvent décriée, souvent
montée aux nues, la thérapie génique
est un traitement encore hautement expérimental
qui consiste, en gros, à injecter un gène
-un gène "réparateur", de préférence-
dans un patient. Ce gène pénètre
chez son nouvel hôte par l'intermédiaire
d'un virus (un rétrovirus plus précisément)
et une fois arrivé à destination,
devrait en théorie servir à pallier
à une déficience donnée -par
exemple, réactiver un système immunitaire
endormi. Ou endormir un gène dont la déficience
est responsable des mouvements incontrôlés
qui caractérisent le Parkinson.
Le problème, c'est que depuis
près de 20 ans que ses partisans la montent
aux nues, la thérapie génique n'a
pas encore été capable de faire ses
preuves. Si elle a eu de-ci de là quelques
succès encourageants -comme dans le cas de
cette recherche sur des souris- elle a eu plus que
sa part d'espoirs déçus, en plus de
quelques échecs retentissants, dont le plus
connu est le décès aux Etats-Unis
de Jesse Gelsinger, 18 ans, en septembre 1999 (voir
ce texte).
Alors que la semaine dernière,
la Grande-Bretagne songeait elle aussi à
un moratoire sur la thérapie génique
-tout au moins, dans le cas des patients traités
pour immunosuppression- l'Allemagne avait déjà
suspendu 13 types de thérapies géniques
dès juin dernier, à la suite d'une
étude faisant état de souris qui auraient
développé... des leucémies.
Les huit jeunes Français prenaient
part à une expérience dirigée
par le pionnier des thérapies géniques,
Alain Fischer, de l'Hôpital Necker pour enfants
malades, à Paris. Il avait déjà
été conclu que 10 enfants avaient
été guéri par cette technique,
ce qui en faisait, jusqu'ici, le plus grand succès
mondial pour la thérapie génique.
Sauf que l'enfant qui vient de développer
cette leucémie était l'un des 10.
Même Alain Fischer se range
dans le camp de la prudence: "à ce stade,
déclare-t-il à la revue Nature,
il semble raisonnable de mettre un frein aux expériences
de thérapies géniques qui utilisent
des rétrovirus pour cibler les cellules de
moelle osseuse" (comme c'était le cas à
l'Hôpital Necker). Et interrogé par
le New Scientist sur le succès obtenu
chez les souris atteintes de Parkinson, l'expert
britannique Roger Barker juge qu'il est trop tôt
pour commencer des essais cliniques sur des humains.
Les Américains ont pourtant obtenu de la
FDA (Administration des aliments et drogues) l'autorisation
de débuter ces tests sur 12 patients atteints
de Parkinson. Ces patients seront suivis de près
pendant les cinq années qui suivront le traitement.
On ne sait pas très bien ce
qui a pu se passer pour qu'une leucémie se
développe, mais toutes les hypothèses,
qui tournent autour du lieu, dans l'ADN du jeune
garçon, où s'est inséré
le rétrovirus, rappellent une chose fondamentale:
nos connaissances en génétique sont
encore si incomplètes que toute forme de
thérapie génique équivaut peut-être
à lancer une fléchette sur une cible,
les yeux bandés...