La propulsion d'avenir, c'est la propulsion
ionique. Et si les rêves des ingénieurs se
réalisent, le moteur ionique remplacera un jour les
moteurs chimiques qui ont équipé tous les
vaisseaux spatiaux, du Spoutnik jusqu'à la navette
spatiale.
Déjà, quoi qu'il arrive des
suites de sa mission, la sonde européenne Smart-1
a accompli une première: jamais un engin ne s'était
arraché à l'attraction terrestre au moyen
d'une seule propulsion ionique. D'autres engins, dont le
Deep Space 1 américain en 1998 (voir
ce texte) ont utilisé un "moteur hybride": chimique-ionique.
Soit. Mais en quoi cette propulsion est-elle
si révolutionnaire, s'il a fallu 13 mois à
Smart-1 pour accomplir un voyage
qui
aurait pris quatre jours aux autres?
Le principe du moteur chimique, c'est
une explosion. Celle-ci donne, du même coup, une poussée.
Au sein du moteur, des réactions chimiques entre
deux substances génèrent des gaz qui, expulsés
par l'arrière, donnent cette poussée vers
l'avant. Le tout coûte cher, en argent et en poids:
parce que l'engin doit traîner avec lui des réserves
de deux substances chimiques qu'on fera interagir ensemble
(généralement de l'oxygène et de l'hydrogène),
et parce que plus l'engin doit voyager loin, plus ses réserves
de carburant doivent être abondantes. Donc, plus l'engin
doit être lourd au décollage et c'est
ça qui coûte très cher.
Le principe du moteur ionique, en comparaison,
c'est tout d'abord un seul gaz (en l'occurrence le xenon),
ce qui rend déjà le vaisseau moins lourd.
Des panneaux solaires totalisant sept mètres fournissent
de l'électricité, laquelle est utilisée
pour "arracher", un par un, des électrons aux atomes
de xénon. Ce sont ces électrons libres ou
ions qui, éjectés vers l'arrière à
une vitesse folle, fournissent au vaisseau sa poussée.
Evidemment, une poussée d'un seul ion
à la fois, c'est ridicule. C'est donc uniquement
par l'accumulation de milliards d'ions qu'on commence à
sentir une différence. Mais à la longue, la
différence est énorme: il faut se rappeler
que dans l'espace, il n'y a pas d'air, donc rien pour vous
ralentir dès que vous avez subi une poussée,
fut-ce une poussée d'un seul ion.
Cela signifie aussi que plus le voyage est
long, plus un moteur ionique fera gagner du temps: on risque
donc de le voir davantage employé vers les voyages
à destination de planètes lointaines que lors
de voyages vers la Lune.
Ceci dit, à la défense de Smart-1,
il faut rappeler qu'elle n'a pas fait le voyage en ligne
droite, mais en accomplissant des spirales de plus en plus
larges. Lancée le 27 septembre 2003 (voir
ce texte) de la base de Kourou, en Guyane française,
elle a parcouru près de 80 millions de kilomètres,
alors que les astronautes d'Apollo, il y a 32 ans, en suivant
une route plus directe, n'ont parcouru que 400 000 kilomètres.
En janvier, l'engin commencera la première
cartographie à rayons-X jamais entreprise pour la
surface lunaire. Cette carte renforcera les connaissances
des géologues sur la composition et la formation
de notre satellite. Smart-1, qui devrait rester en orbite
lunaire pendant deux ans, transporte aussi une caméra
capable de photographier la surface avec une résolution
plus élevée que lors des missions précédentes.
Et un spectromètre à infrarouge, afin de chercher,
une fois encore, où pourrait être cette glace
qu'on aimerait bien trouver dans le sous-sol lunaire, mais
à laquelle les scientifiques croient de moins en
moins.
Autre exploit dont l'Agence spatiale européenne
est bien fière: l'engin
est tout petit. En forme de cube de la taille d'une
machine à laver, il pèse 370 kilos et tout
son bagage technologique, du moteur ionique au spectromètre
est un triomphe de miniaturisation. En fait, la
mission est avant tout un test pour ces technologies
pas seulement le moteur ionique qui rendront,
espère-t-on, les
futures missions spatiales moins coûteuses. Le
poids est en effet un élément capital: moins
un engin est lourd, moins il faut de carburant pour l'arracher
du sol, donc moins il coûte cher.
D'où le nom de cette petite sonde:
Petites missions pour Recherches avancées en technologie
ou, en anglais, Small Missions for Advanced Research
in Technology, soit Smart.