Trois nouvelles à ce sujet, toutes
trois à saveur politico-scientifico-religieuse
1. Imax rejette l'évolution
La nouvelle la plus délirante des trois,
c'est celle des cinémas Imax. Reculant devant la
force de frappe des créationnistes, une douzaine
de cinémas Imax situés aux Etats-Unis ont
décidé de ne pas présenter des films
tels que Cosmic Voyage, Galapagos les
îles où tout a commencé pour Charles
Darwin et Volcanoes of the Deep Sea un
documentaire consacré à ces volcans sous-marins
qui offrent des modèles de la façon dont la
vie a probablement commencé sur notre planète.
La nouvelle apparaît délirante,
mais en même temps inquiétante, puisque certains
de ces cinémas Imax sont situés... dans des
musées de science! Si même eux reculent devant
le lobby créationniste et ses partisans aussi bruyants
qu'incultes, c'est que le phénomène a atteint
une ampleur insoupçonnée.
Interrogé
par le New York Times le 19 mars, le directeur
du marketing du Musée de la science et de l'histoire
de Fort Worth (Texas) a justifié la décision
de son établissement par des réponses hostiles
au film Volcanoes of the Deep Sea recueillies lors
d'un visionnement: "Je déteste quand la théorie
de l'évolution est présentée comme
un fait", a déclaré l'un des spectateurs.
Un distributeur du film a reconnu que celui-ci
avait été refusé ailleurs pour des
raisons semblables: "raisons religieuses" ou bien "ne passera
pas bien dans la communauté chrétienne".
Dès la parution de l'article du Times,
le quotidien local de Fort Worth a
reçu des dizaines de lettres de lecteurs scandalisés
par cette décision de leur musée ("qu'est-ce
qui viendra après? La Société de la
Terre plate va avoir le droit de choisir les films?"). Le
24 mars, le Musée annonçait qu'il revenait
sur sa décision.
2.Les profs de science rejettent l'évolution
Cette nouvelle-là est la plus ancienne
des trois, mais elle est ressortie la semaine dernière,
alors que divers commentateurs et blogueurs s'étonnaient
de la montée en puissance des créationnistes:
31% des profs de science s'auto-censurent, a
rappelé le columnist du New York Times:
plutôt que de risquer de faire naître une controverse
avec des parents qui croient dur comme fer au récit
de la Genèse, ils évitent de parler d'évolution
dans les cours de biologie! (voir notre texte du 28 février,
L'ignorance
au pouvoir).
Au fil des années, on a vu diverses
tentatives des créationnistes américains être
rejetées: ainsi, ils n'ont pas le droit d'imposer
leur enseignement dans les écoles publiques, parce
que cet enseignement a été qualifié
de religieux par les tribunaux, et que la séparation
de l'Eglise et de l'Etat est étanche au pays de George
Washington. Mais rien ne les empêche de mener des
campagnes politiques et de faire parler d'eux sur toutes
les tribunes avec pour résultat, entre autres,
que des partisans de la droite religieuse se font élire
sur les conseils scolaires et réussissent à
faire coller des avertissements sur des manuels de biologie.
Parfois, quand cela n'implique pas de devoir
affronter les parents, les profs de science réussissent
tout de même à protester: comme au Kansas,
où les biologistes ont annoncé qu'ils boycotteront,
en mai, les audiences publiques du Bureau de l'éducation,
qui vont entériner, affirment les scientifiques,
l'enseignement de la théorie du "design intelligent"
un maquillage pseudo-scientifique pour la thèse
créationniste.
3. Les pharmaciens régressent
Un pharmacien n'a-t-il pas le devoir sacré
de servir un patient? C'est en tout cas ce que dit son Ordre
professionnel. Mais pas si la prescription va à l'encontre
de ses croyances religieuses, ont décidé certains
pharmaciens.
Le Washington Post soulignait à
la Une de son éditon du 28 mars qu'un nombre
croissant de pharmaciens refusent carrément de servir
des patients surtout des patientes dont la prescription
contient des choses telles que la pilule du lendemain ou
même la pilule anticonceptionnelle. La nouvelle a
rapidement (re)fait le tour des Etats-Unis, notamment à
l'émission matinale du réseau CBS, où
on a ainsi pu apprendre que, mine de rien, la chose
est déjà devenue légale dans au moins
trois Etats américains, et est à l'étude...
dans 26 autres!
Est-il besoin de le préciser, la pilule
anticonceptionnelle est légale aux Etats-Unis (la
pilule du lendemain aussi, mais en revanche, sa vente n'est
pas possible sans prescriptions dans la plupart des États).
Un pharmacien pourrait-il faire l'objet de
poursuites judiciaires pour avoir refusé de vendre
ces produits? Pas dans les trois États mentionnés
plus haut. Une association internationale pour les défendre
existe déjà: Pharmacists for Life,
et un de ses objectifs est justement d'amener des politiciens
à voter de telles lois, qui donneront aux pharmaciens
le droit de refuser de vendre des médicaments (un
groupe de critique des médias, Media Matters,
s'intéresse
à ce groupe sur cette page).
Refus de vendre des médicaments, non
pas parce qu'ils jugent que ces médicaments mettent
en danger la vie d'une personne, mais en raison de leurs
croyances personnelles.
"Il y a des pharmaciens qui vont donner la
pilule à une femme seulement si elle est mariée,
lit-on dans l'article du Post. Il y a des pharmaciens
qui croient que la contraception est une forme d'avortement.
Il y a même des cas de pharmaciens qui vont retenir
des prescriptions en otage, refusant de la transférer
à une autre pharmacie, alors que le facteur temps
est primordial."
Quand les extrémistes se mêlent de science
Où cela s'arrêtera-t-il, questionne
le columnist Paul Krugman, du New York Times.
On s'inquiète souvent de la montée en force
d'intégristes musulmans dans des pays où ils
sont largement minoritaires, comme la France ou les Pays-Bas.
Mais "c'est également vrai des Etats-Unis, où
de dangereux extrémistes appartiennent à la
religion majoritaire et au groupe ethnique majoritaire,
et détiennent une grande influence politique".
Le problème, c'est que ces trois nouvelles
-Imax, les profs de science et les pharmaciens- appartiennent
à la sphère scientifique, et c'est peut-être
la raison pour laquelle elles ont échappé
jusqu'ici aux écrans radar des médias, considérant
la place mineure qu'occupe la science dans les médias.
Mais ils ne sont que la pointe de l'iceberg d'une réalité
plus profonde, l'ascension d'un hyper-conservatisme extrêmement
motivé et sourd à toute forme de compromis.
"Le plus proche parallèle auquel je
puisse penser, poursuit Krugman, c'est Israël. Il fut
un temps, il n'y a pas si longtemps, où les modérés
israéliens sous-estimaient la croissance des extrémistes
religieux. Mais plus maintenant: ces extrémistes
ont déjà tué un premier ministre, et
tout le monde est conscient qu'Ariel Sharon est à
risque.
"L'Amérique n'est pas encore un endroit
où des politiciens libéraux, et même
des conservateurs qui ne suivent pas assez la ligne dure,
craignent l'assassinat. Mais à moins que les modérés
ne prennent position contre le pouvoir croissant des extrémistes
sur leur propre sol, cela peut se produire ici."
Pascal Lapointe