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Les environnementalistes ne manquent pas une occasion pour nous le rappeler: d’un point de vue écologique, l’humanité vit «à crédit». C’est-à-dire qu’elle consomme les ressources naturelles de la planète à un rythme qui ne leur permet plus de se renouveler. En 2010, nous avons consommé 50% plus de ressources que la Terre ne pouvait en fournir. Et avec la croissance démographique, ce «déficit écologique» pourrait atteindre les 100% au cours des prochaines décennies. En clair, nous consommerions alors, en ressources naturelles, l’équivalent de deux planètes Terre.

«Si rien ne change, on fonce droit dans le mur», lance le directeur de l’Observatoire de la consommation responsable (OCR) de l’Université de Sherbrooke, Fabien Durif. Son avis est aussi partagé par les autres spécialistes qui se sont réunis mardi, à la Grande Bibliothèque de Montréal, pour un séminaire consacré aux «Enjeux et défis de la consommation responsable»: la surconsommation — et la consommation «irresponsable» — hypothèquerait grandement l’avenir de notre planète et, par là même, notre propre avenir. D’où la nécessité et l’urgence, selon eux, de revoir notre train de vie et d’adopter des habitudes de consommation plus «éco-responsables» (nouvelle traduction en vogue de l’anglais sustainable).

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Éco-responsabilité et développement durable

Si l’expression est encore assez peu connue du grand public, les comportements qu’elle désigne, eux, le sont beaucoup plus: recyclage, consommation de produits locaux et biologiques, protection de l’environnement, déconsommation (consommer moins), utilisation de moyens de transport écologiques, compostage... Bref, autant de comportements qui s’inscrivent dans une perspective de développement durable, au sens premier et véritable du terme, souligne François Décary-Gilardeau, analyste agroalimentaire chez Option consommateurs. Avant d’être récupéré politiquement et — surtout — commercialement, «le concept de développement durable était d’abord défini comme ce “mode de développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs”», rappelle-t-il.

Être éco-responsable, ce serait donc nous assurer, individuellement et collectivement, par nos comportements et nos modes de vie, que la biocapacité de la planète (c’est-à-dire sa capacité à fournir des ressources renouvelables aux êtres humains) ne se voit pas réduite au point de mettre en péril les générations futures. Concrètement, cela voudrait aussi dire, non seulement de consommer les ressources de manière plus intelligente et responsable, mais surtout d’en consommer moins — beaucoup moins.

Éco-responsables, les Canadiens ?

Plusieurs études se sont déjà penchées sur les habitudes de consommation des Québécois et des Canadiens afin d’en mesurer le degré d’éco-responsabilité. Mais ces études se heurtent souvent à une difficulté majeure, indique Brendan Wilie-Toal, directeur de recherche et de projets pour My Sustainable Canada, un organisme sans but lucratif basé à Kitchener, en Ontario: «C’est qu’il y a un écart important entre les intentions des gens, d’une part, et les résultats réels de leurs actions, d’autre part. De sorte que les gens ont tendance à se dire plus éco-responsables qu’ils ne le sont en réalité.»

C’est ce biais méthodologique que l’équipe de My Sustainable Canada a cherché à éviter dans sa plus récente étude, qui sera publiée à la fin avril sur le site de l’organisme. Comment? Vous l’aurez sans doute deviné: en allant «fouiner» directement dans les paniers d’épicerie et les maisons des Canadiens et des Québécois (avec leur consentement préalable, bien sûr!), et en les interrogeant sur leurs choix en matière de consommation. L’objectif: mieux comprendre cet écart entre les bonnes intentions éco-responsables et les actions qui, elles, ne le sont pas toujours.

L’étude de My Sustainable Canada révèle à cet égard des tendances quelque peu surprenantes, qui mettent à mal certaines idées reçues. Par exemple, cette idée que les jeunes seraient des consommateurs plus éco-responsables:

«Notre étude indique que les jeunes sont en fait moins éco-responsables que les personnes plus âgées. Contrairement à ce que l’on croit souvent, l’éco-responsabilité croît donc avec l’âge.» — Brendan Wylie-Toal

Autre fait surprenant: l’éco-responsabilité ne serait pas non plus proportionnelle au niveau d’éducation:

«Les gens plus éduqués, parce qu’ils ont généralement des revenus plus élevés, ont tendance à consommer davantage et laissent donc une plus grande empreinte écologique. Et ce, même s’ils consomment parfois plus de produits biologiques, locaux et éco-responsables. » — Brendan Wylie-Toal

Comme quoi l’éco-responsabilité, ce n’est pas seulement de consommer mieux, mais c’est surtout de consommer moins. C'est-à-dire de «déconsommer», pour reprendre une autre expression souvent utilisée dans les cercles environnementalistes et altermondialistes. «Acheter un téléviseur certifié “Energy Star”, ce peut être un geste éco-responsable. Ce l’est sans doute plus que d’en acheter un qui n’est pas certifié — ou que d’en acheter 6 qui le sont... Mais ce sera toujours moins éco-responsable que de ne pas en acheter du tout», illustre Brendan Wylie-Toal.

Le Baromètre de la consommation responsable

L’étude de My Sustainable Canada ne prétend toutefois pas dresser un portrait fidèle des habitudes de consommation des Canadiens, puisque son échantillon — très réduit — n’est pas représentatif de l’ensemble de la population (seulement quelques centaines de citoyens y ont participé, surtout concentrés à Montréal et à Guelph, en Ontario). Mais les grandes tendances que l’étude met au jour semblent cependant confirmées par d’autres recherches plus exhaustives, souligne le directeur de l’Observatoire de la consommation responsable (OCR), Fabien Durif.

Depuis l’an dernier, l’OCR collabore d’ailleurs avec le magazine Protégez-vous pour mettre en place un Baromètre de la consommation responsable, qui vise à mesurer avec précision l’importance du phénomène au Québec. Les premiers résultats sont publiés et analysés sur le site Internet de Protégez-vous depuis décembre dernier et jusqu’au 22 avril, Jour de la Terre. Et les responsables comptent bien reprendre l’exercice chaque année, pour constater l’évolution des habitudes.

«Jusqu’ici, nous avons pu identifier les types de comportements éco-responsables les plus répandus au Québec, c’est-à-dire le recyclage et la consommation locale. Et nous avons aussi confirmé ce qui était déjà une évidence pour plusieurs: les femmes sont plus éco-responsables que les hommes.» — Fabien Durif, directeur de l’OCR

Et qu’en est-il des Québécois en général? L’étude de l’OCR indique que seuls 35% d’entre eux peuvent être considérés comme de véritables «adeptes de la consommation responsable». Mais si l’on ajoute ceux qui y sont «sensibilisés» (36%), le baromètre se fait un peu plus souriant et peut redonner espoir quant à un changement prochain des habitudes.

Reste qu’en matière de consommation responsable, le Québec est manifestement «en retard» par rapport à de nombreux pays, croit M. Durif. Selon le chercheur, l’exemple à suivre est encore l’Europe, où «l’encadrement législatif des États et de l’Union européenne continue à porter fruit».

Contrer le green-washing et l’« effet de mode »

Le manque d’encadrement et de règles entourant la certification et l’étiquetage des produits éco-responsables serait d’ailleurs l’un des principaux obstacles à l’essor de la consommation responsable au Canada, selon les spécialistes. «Avec toutes les différentes certifications, étiquettes et publicités qui vantent le caractère éco-responsable des produits, il devient très difficile pour le consommateur de s’y retrouver et d’y voir clair», souligne M. Wylie-Toal. En revanche, il devient alors très facile pour les entreprises d’induire le consommateur en erreur en abusant de sa «sensibilité environnementale».

C’est là un phénomène que les environnementalistes dénoncent depuis longtemps déjà: le green-washing — ou «éco-blanchiment» —, cette stratégie de marketing qui cherche à profiter de la «mode verte» en présentant des produits comme étant éco-responsables, même lorsqu’ils ne le sont pas (ou bien peu). Cette «mascarade verte» entretient ainsi la confusion chez les consommateurs, de sorte qu’ils deviennent de plus en plus méfiants envers tous les produits éco-responsables (une méfiance que le Baromètre a aussi permis de constater).

C’est pourquoi un meilleur encadrement législatif et réglementaire pourrait sans doute favoriser la responsabilisation des consommateurs québécois, «en les aidant à faire des choix plus éclairés», croit François Décary-Gilardeau. Il ajoute qu’il faut aussi résister «à individualiser des enjeux qui sont essentiellement sociaux et politiques», par exemple en renvoyant toute la responsabilité au seul consommateur.

Du consommateur au citoyen

Mais il ne faut pas non plus attendre passivement que les gouvernements agissent, selon Brenda Plant, codirectrice de l’organisme Éthiquette: «C’est à nous de faire bouger les gouvernements, car ils ne feront rien tant qu’on ne les poussera pas à agir. Mais si nous jouons notre rôle dans toutes nos sphères d’influence — en tant que consommateurs, employés, citoyens, électeurs... —, nous avons beaucoup plus de pouvoir que nous le pensons.»

Est-ce que le Baromètre indiquera un changement positif de nos habitudes de consommation au cours des prochaines années? On peut l’espérer, selon Colleen Thorpe, conseillère en développement durable chez Équiterre — l’organisme qui a organisé le séminaire:

«Le changement vers une société plus éco-responsable est un long processus. Mais nous voyons déjà une évolution. Par exemple, l’idée de “consommer moins”, qui était souvent mal reçue au départ, est aujourd’hui de mieux et mieux accueillie.»

Reste à voir si les Québécois feront de cette «bonne idée» une véritable habitude. Et surtout si le reste du monde en fera autant... Nous avons encore quelques années — quelques décennies, tout au plus — pour renverser la tendance et commencer à éponger notre «déficit écologique». Le défi est de taille.

LCR

Hyperliens, références et informations additionnelles :

Ce billet a été écrit dans le cadre d'un travail d'équipe pour le cours RED2301 - Problèmes de vulgarisation, donné par Pascal Lapointe, à l'Université de Montréal à la session d'hiver 2011.

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