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Le sujet d’aujourd’hui n’est pas lié à une étude récente particulière comme c’est souvent le cas ici. Mais comme on me questionne vraiment très souvent sur les différences cognitives entre les femmes et les hommes, il semble que la chose intrigue encore et ce, comme on va le voir, peut-être pas nécessairement pour les bonnes raisons. Car il y a d’une part un discours voulant, pour paraphraser le titre d’un ouvrage à succès, que les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus. Les différences y sont souvent si exagérées que c’en est presque drôle. Tellement qu’on en vient à se demander si ce ne serait pas les auteurs de ces livres qui vivent sur une autre planète… Et à l’opposé, on assiste depuis une décennie ou deux à la montée d’un discours à l’extrême opposé, qui affirme que les différences entre les deux sexes ne sont que des conséquences de notre éducation. Tout serait donc culturel pour la simple (et simpliste) raison que notre cortex fait preuve d’une grande plasticité (ce qui n’est pas faux, mais pas tout non plus). Malgré la caution scientifique que ce second discours semble apporter aux luttes contre le sexisme (celui que subissent les femmes en particulier), il ne résiste pas une analyse rigoureuse des données scientifiques disponibles et dessert malheureusement plus qu’il n’aide ces luttes nécessaires.

C’est pourquoi un collectif de chercheur.es de différentes disciplines des sciences cognitives avait publié dans le journal Le Monde du 15 avril 2016 un article intitulé « En sciences, les différences hommes-femmes méritent mieux que des caricatures ». Remarquablement clair et concis, cet article réussit à faire plusieurs distinctions fondamentales à propos de cette question. Trop souvent escamotées, ces nuances conduisent à la vision dichotomique simpliste et caricaturale évoquée plus haut. Et c’est pour cette raison que je me retrouve toujours un peu dépourvu lorsqu’on me pose cette question après une conférence et qu’on s’attend à une réponse en quelques phrases alors qu’il faudrait en fait une autre heure de conférence pour bien y répondre. Ou un billet un peu plus long que d’habitude, comme celui-ci…

Il faut d’abord rappeler qu’il n’y a pas deux êtres humains pareils (jumeaux identiques compris). Tous les êtres humains sont donc différents. Cette diversité est causée à la fois par nos gènes particuliers et par l’environnement tout aussi particulier dans lequel nous grandissons. C’est toujours les deux, gènes et environnement, comme le répète constamment Robert Sapolsky dans son magistral ouvrage « Behave ». La diversité causée par les différences individuelles est d’ailleurs une richesse, tant du point de vue de la sélection naturelle (parce qu’elle offre du choix aux processus de sélection) que de la simple complémentarité qu’elle permet dans l’organisation des sociétés humaines.

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Mais bon, je sais que la question que l’on se pose au fond est la suivante : ne pourrait-on pas discerner des différences cognitives « en moyenne » entre les hommes et les femmes ? Et effectivement la réponse à cette question est oui. Des différences significatives mais généralement assez modestes. Et des différences qui avantagent parfois les hommes, parfois les femmes, dépendamment de la tâche cognitive. Et c’est là qu’on peut commencer à entrer tranquillement dans les détails de ces différences pour montrer, pour le dire vite, qu’il n’y pas de quoi fouetter un chat !

D’abord un mot sur la moyenne, car c’est bien toujours de cela dont on est obligé de parler quand on cherche ce genre de différences. Déjà une évidence : on s’entend que si les hommes sont par exemple en moyenne plus grands que les femmes, cela n’empêche pas qu’il y ait des hommes plus petit que des femmes, ou inversement. Il en sera de même pour les facultés cognitives : ce n’est pas parce qu’on note un léger avantage en faveur d’un sexe pour une tâche données qu’on ne peut pas trouver plein d’individus de l’autre sexe qui seront encore meilleurs que cette moyenne un peu plus élevée pour un sexe donné.

Mentionnons maintenant quelques données d’études présentées par Franck Ramus dans une conférence TEDx présentée le 21 juin 2014. Ramus, qui travaille sur les déterminants génétiques et environnementaux qui influencent le développement de l’enfant, rappelle d’abord qu’il n’y a pas, en moyenne, de différence entre le quotient intellectuel de l’homme et de la femme (quant à savoir ce que mesure réellement les tests de QI, ça c’est une autre histoire!). Le cerveau de l’homme a beau être, toujours en moyenne, environ 9% plus volumineux que celui de la femme (comme son corps est en moyenne plus grand aussi), et le volume cérébral ne pouvant expliquer semble-t-il qu’environ 10% de la valeur du QI, on voit bien que le volume cérébral seul est loin d’être la fin de l’histoire.

Toujours au niveau anatomique, si l’on compare maintenant différentes structures cérébrales particulières, on trouve encore une fois des volumes différents en moyenne pour les hommes et les femmes à de nombreux endroits, notamment pour des structures sous-corticales comme l’amygdale, le putamen, le pallidum ou le thalamus. Certaines structure sont un peu plus volumineuses chez les hommes, d’autres chez les femmes, y compris lorsque les différences de volume cérébral total sont prises en compte.

Bien entendu, on ne peut pas faire des correspondances directes entre ces différences anatomiques et des différences cognitives. Le passage du niveau cérébral au niveau cognitif est trop complexe et s’accompagne de trop de processus émergent pour qu’on puisse établir des parallèles directs. De toute façon, il y n’y a pas de « centre » de quoi que ce soit dans le cerveau, seulement des réseaux complexes et transitoires qui en plus font énormément de « recyclage neuronal ».

Cela étant dit, il est possible avec des tests psychologiques et des questionnaires d’évaluer certaines capacités cognitives. Et encore une fois, on trouve de modestes mais nombreuses différences entre celles des hommes et celles des femmes. Par exemple la mémoire de localisation spatiale de plusieurs objets (où les femmes sont en moyenne un peu meilleures que les hommes) et la rotation mentale de structures complexes dans l’espace (où les hommes démontrent en moyenne un peu plus d’habileté que les femmes).

Il y a donc pas mal de différences anatomiques cérébrales et cognitives entre les hommes et les femmes. Mais d’où viennent-elles ? Parce que c’est ça le cœur du litige. On l’a dit, comme bien d’autres facultés, l’influence va être double, à la fois génétique ET environnementale. Commençons par ces dernières. Bien sûr le type d’activité que l’on propose à nos enfants va favoriser certaines capacités cognitives et moins d’autres. On sait aussi que si l’on suggère certains stéréotypes à des sujets avant un test, on peut infléchir les performances à ces tests en fonction de ces stéréotypes. Il a été par exemple bien démontré que si l’on donne un test de maths en disant que les garçons sont meilleurs en maths, eh bien ils le seront à ce test, mais pas si l’on dit que le sexe n’a pas d’influence sur les maths, où de fait les résultats entre les garçons et les filles deviennent alors comparables. Ces stéréotypes souvent implicites et intériorisés pourraient donc expliquer une partie des nombreuses différences cognitives observées, celles où les effets sont le moins marqués (peut-être entre autres parce qu’elles font appel à plusieurs compétences distinctes plus fondamentales où les différences cognitives homme femme ont tendance à s’annuler ou à se compenser).

Mais si l’on continue à descendre les niveaux d’organisation, on en arrive au niveau moléculaire où les différences biologiques entre le cerveau d’un homme ou d’une femme sont pour le moins marquées : chaque cellule du cerveau d’une femme possède deux chromosomes X tandis que celui d’un homme possède un X et un Y. C’est la définition du sexe biologique. Or durant le développement, très vite le fœtus mâle, à cause de certains gènes sur ce chromosome Y, va faire se différencier les gonades en testicules qui vont sécréter un pic important de l’hormone testostérone vers la 15e semaine de gestation. La testostérone va ainsi influencer toutes les cellules de l’organisme, y compris les neurones, amenant ainsi certaines régions cérébrales à être plus ou moins volumineuses et par conséquent certaines différences au niveau des comportements entre les individus mâles et femelles.

Des travaux avec des techniques comme celles qu'utilise Franck Ramus sans son laboratoire ont par exemple pu démontrer que des nourrissons aussi jeunes que 3 à 5 mois vont regarder plus spontanément un visage si ce sont de petites filles ou vont détecter plus facilement qu’une structure spatiale en 3D n’est plus la même si c’est un petit garçon. Des effets alors attribués aux gènes, l’influence de stéréotypes culturels étant très peu plausible à des âges si précoces.

On retrouve d’autres données du genre qui démontrent à quel point l’influence des gènes et de l’environnement sont toujours inextricablement lié dans un billet de blogue de Ramus écrit en collaboration avec Nicolas Gauvrit en juillet 2014 et qui avait pour titre « Dossier Masculin - Féminin : la « méthode Vidal » ». Ils y dénonçaient les prises de position publiques « extrêmement biaisée, incomplète » de la neurobiologiste Catherine Vidal qui, sans jamais avoir publié d’études sur cette question, se fait inviter régulièrement sur toutes les tribunes pour défendre la position qu’il n’y a pas d’influences génétiques dans les différences cognitives homme femme et que toutes celles que l’on observe s’expliquent par la plasticité de notre cortex qui apprend et intériorise les préjugés sexistes ambiants.

Comme l’écrivent Ramus et Gauvrit, son objectif de dénoncer les pratiques sexistes discriminatoires est certainement honorable, mais

« la route qu’elle emprunte est plus que dangereuse : en donnant l’impression que le seul fondement possible à la lutte contre les stéréotypes et les discriminations sexistes est le « fait » supposé qu’il n’existe aucune différence innée entre hommes et femmes, on prend le risque de justifier de fait le sexisme une fois des différences prouvées (ce qui est déjà fait). Les discriminations envers les femmes sont choquantes et condamnables car elles enfreignent des principes moraux fondamentaux, tels que la justice et l’équité. »

Comme l’explique aussi Ramus dans un billet de son blogue intitulé « À propos de l’article « La méthode Vidal » », il n’a rien contre Catherine Vidal en tant que personne, mais plutôt contre le caractère parcellaire, déformée et en bout de ligne improductif sur le plan du progrès social d’un discours comme le sien.

Et cela nous ramène à la distinction classique entre une égalité « de droit » et une égalité « de fait ». La première est celle que la Déclaration universelle des droits de l’Homme appelle de ses vœux et qu’on espérerait effective partout et en tout point, même si ce n’est malheureusement pas encore le cas. Et l’autre s’évalue à la lumière des études scientifiques de phénomènes cognitifs pas toujours faciles à étudier mais où l’impératif de reproductibilité des expériences scientifiques permet d’accéder à certains consensus dans la communauté – ce que l’on appelle couramment des « faits scientifiques ».

On se situe donc à deux niveaux d’organisation très différents, le niveau psychique et le niveau social, et l’on ne peut pas tenter de réduire ou justifier le second par le premier en vertu des nombreux phénomènes émergents qui marquent le passage d’un niveau à un autre et empêchent la réduction d’un niveau supérieur aux propriétés des éléments du niveau inférieur. C’est le tout qui est plus que la somme de ses parties. Et c’est pourquoi le « ce qui est » de la neurobiologie par exemple ne peut dicter le « ce qui devrait être » des institutions culturelles et sociales que l’on se donne. Cela dit, la connaissance de nos prédispositions génétiques peut certainement mieux nous aider à les contourner, si c'est cela qu'on veut, que leur négation pure et simple.

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