Avant de s'emballer, il est peut-être bon de préciser de quoi parlent les biochimistes. Leur affirmation porte avant tout sur les protéines. Ces molécules s'avèrent essentielles au fonctionnement des cellules et donc à notre survie. Dans les années 1940, on a découvert que ces molécules adoptaient une forme bien précise qui dépend finement de sa composition chimique. Cette forme se caractérise principalement par deux structures particulières — les hélices alpha et les feuillets bêta qui s'assemblent dans des arrangements complexes (voir les images ci-dessous).
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Représentation de la structure de la protéine p53 associée au processus de destruction des cellules. À gauche, on voit la structure avec tous les atomes; une protéine est une molécule très compacte. À droite, on montre une représentation esquissée qui permet de voir la structure sous-jacente de la protéine. En rouge, on voir les hélices alpha, en jaune, les feuillets bêta et en vers les parties désordonnées. La protéine p53 est une protéine mixte qui possède des éléments bien formés, mais aussi une grande partie désordonnée qui peut adopter toutes sortes de forme au fil des fluctuations.
Ces arrangements déterminent la fonction même de la protéine et deux protéines dont la composition chimique est différente auront la même fonction si leur structure est similaire. En effet, la forme des protéines permet de capturer plus facilement certaines molécules bien précises et de les transformer via des processus chimiques, faisant fonctionner la cellule. Depuis plus de 50 ans, on considère donc que les protéines ont besoin d'être structurées pour être utiles. Elles doivent même posséder une structure bien particulière, dite « état natif ».
Or, on a découvert depuis quelques années que cette hypothèse pourtant bien établie était fausse. Voilà tout un choc pour une communauté qui a passé plusieurs décennies à rechercher l'ordre et à mettre de côté tout ce qui ne pouvait pas être classé bien proprement. Des études récentes suggèrent que plus de 15 pour cent des protéines du génome humain seraient en bonne partie désordonnées! Plus étonnant encore, ces protéines ne sont pas là que pour la décoration, elles possèdent des fonctions bien précises et souvent critiques au fonctionnement de la cellule.
Voilà une nouvelle qui a défrisé plus d'un biochimiste, car la description même d'une protéine doit être changée. Il n'est plus nécessaire qu'elle ait une structure native bien définie, seulement que cette molécule puisse effectuer une fonction précise.
Puisque ces protéines désordonnées agissent également sur des molécules, il semble qu'elles soient non structurées la plupart du temps et qu'elles ne se structurent que lorsqu'elles entrent en contact avec leur cible. Comme toujours lorsqu'on fait une telle découverte en biochimie, on doit justifier un tel comportement dans le cadre de la théorie de l'évolution : quel est l'intérêt pour une protéine d'être désordonnée? On pense pour le moment qu'ainsi ces protéines peuvent agir sur un plus grand spectre de molécules, elles seraient donc utiles pour des processus chimiques plus génériques. Cette hypothèse doit encore être vérifiée, car on commence tout juste à étudier des protéines longtemps considérées comme sans intérêt.
L'aphorisme d'Héraclite, ce philosophe grec quasi mythique qui vécut il y a 2500 ans, s'applique donc toujours : « Le désordre, le plus bel ordre du monde. » Qui peut dire mieux?