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Une augmentation du prix d’abonnement de 400% signifierait la mort de la majorité des magazines. Sauf dans le domaine scientifique, où des revues comme Nature et Science sont jugées indispensables. Est-ce encore le cas en 2010? Une secousse sismique en Californie permettra peut-être d’en juger.

Les bibliothécaires du réseau de l’Université de Californie, à présent appuyés par la direction de l’établissement, ont provoqué cette secousse le 4 juin, en suggérant à leurs professeurs non seulement de ne pas renouveler l’abonnement aux 67 revues du groupe Nature, mais surtout, de boycotter le travail gratuit qu’accomplit tout professeur digne de ce nom : ne plus soumettre d’article à ces 67 revues et ne plus agir comme réviseur d’articles dans sa discipline (le principe dit du peer review).

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La cause : une augmentation du prix d’abonnement de 400%, qui signifierait une facture supplémentaire de plus d’un million. D’autant plus malvenue que la crise économique en Californie a conduit à de grosses coupes dans le budget de cette université, dont les 10 campus régionaux sont en partie financés par l’État.

La réponse de Nature, le 9 juin : des négociations confidentielles étaient en cours avec l’Université de Californie pour un « ajustement », parce que cette université aurait bénéficié d’un « rabais injuste depuis plusieurs années ».

Des origines plus lointaines

Mais en fait, ce jeu de souque-à-la-corde entre le monde des éditeurs scientifiques et celui des universités est commencé depuis 20 ans :

1. En 1991, l’expansion d’Internet donne à une poignée d’audacieux l’outil pour contourner le système en publiant par eux-mêmes : c’est la création d’ArXiv, le premier serveur « de pré-publication ».

Mais publier ne veut pas dire qu’on sera lu. Aussi...

2. Au milieu des années 1990, s’ajoutent les premières revues exclusivement électroniques, puis le mouvement en appelant à un accès gratuit à l’ensemble des recherches. La fusion des deux donne l’éditeur militant Public Library of Science (PLoS), et sa première revue, PLoS Biology, en 2003.

3. Au cours des années 2000 s’insèrent diverses tentatives pour inventer un processus de révision par les pairs qui soit davantage adapté à l’ère Internet.

Mais être lu et même critiqué ne veut pas dire qu’un chercheur a gagné en prestige. C’est pourquoi...

4. ...en 2010, les revues comme Nature et Science bénéficient encore d’un immense avantage psychologique, et elles en profitent.

C’est ce qui pourrait limiter l’impact d’un éventuel boycott, écrivent les bibliothécaires dans leur lettre :

Mais nous croyons qu’à la fin, nous en bénéficierons tous, si l’Université de Californie peut en arriver à une relation équitable et soutenue avec le NPG [Nature Publishing Group]. Dans l’intervalle, les chercheurs peuvent aider à briser le monopole que détiennent sur leur travail des entités commerciales comme le NPG à travers des actions positives.

À titre d’actions positives, la lettre cite ensuite l’éditeur Public Library of Science, de même que les politiques de plusieurs organismes subventionnaires, comme le NIH et le Wellcome Trust dès 2003, qui demandent à leurs chercheurs de rendre accesssibles à tous, gratuitement, les résultats de leurs recherches. Le grand patron de l’Université de Californie se veut lui aussi rassurant : un boycott du groupe Nature n’affecterait pas les carrières des professeurs, déclare-t-il le 10 juin. « Le fait est qu’il existe un grand nombre de publications de qualité. »

Et quelques voix, quoique peu nombreuses, questionnent même la notion de prestige.

Ce que Nature ne réalise pas, c’est que si l’Université de Californie décide de [la] boycotter, les départements universitaires vont vite découvrir qu’ils n’ont pas besoin de Nature. En d’autres termes, Nature est prestigieuse parce que l’université a décidé que Nature était prestigieuse.

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