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Il a effectué des percées que l’on n’aurait pas cru possibles, en décodant l’ADN de nos cousins néandertaliens et en poussant plus loin encore la « paléogénétique », ou l’étude des gènes des anciens humains. Mais peu le voyaient gagner le Nobel de médecine.

Le nom de Svante Pääbo résonne depuis 25 ans, pratiquement chaque fois qu’il est question de nouvelles avancées dans le décodage des gènes de nos ancêtres. Lorsque, à la fin des années 1980, ce chercheur suédois et ses collègues de plusieurs pays ont commencé à plonger dans ce lointain passé, peu croyaient possible qu’on puisse un jour connaître les gènes des Néandertaliens : l’ADN est une molécule qui se dégrade très vite, et le dernier Néandertalien est mort il y a plus de 25 000 ans. De plus, les risques de contamination avec les humains qui ont manipulé ces os au fil des générations étaient omniprésents.

En mettant au point les technologies et les méthodes qui ont fait son succès, le laboratoire Max-Planck pour l’anthropologie de l’évolution, en Allemagne, est ensuite devenu un incontournable: après le premier décodage d’un fragment du génome de Néandertalien en 1997, c’est grâce à l’équipe qu’y dirige Svante Pääbo qu’on a confirmé en 2010 qu’un petit os de doigt appartenait à une branche de l’espèce humaine jusque-là inconnue —les Dénisoviens, qui avaient vécu dans cette région d'Asie il y a 40 à 50 000 ans.

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C’était la première fois qu’on confirmait l’existence d’un nouveau cousin humain, uniquement grâce à la génétique, plutôt que par la morphologie d’un squelette. Et ce qu’on appelle désormais la paléogénétique et la paléogénomique, allaient approfondir par la suite la question des liens ancestraux entre Néandertaliens et Dénisoviens, l’énigme de leurs territoires respectifs, et les interrogations sur leurs premiers contacts avec les Homo sapiens quittant l’Afrique. Ces dernières années, on s’est approché de nouvelles découvertes sur des branches plus anciennes encore, l’évanescent Homo erectus en tête de liste.

Mais au-delà du fait que ces disciplines sont devenues centrales aux études sur l’évolution humaine, et qu’elles ont permis de mieux retracer les mouvements migratoires de nos cousins et de nos ancêtres dans le dernier million d’années, elles ont ouvert des portes inattendues à la médecine.

D’une part, en éclairant les origines de certains aspects de la physiologie humaine, de notre système immunitaire jusqu’à l’adaptation aux hautes altitudes. D’autre part, en révélant que certains des gènes que ces cousins nous ont transmis au cours des 100 000, voire des 50 000 dernières années, pourraient contribuer aux risques de maladies précises, comme la schizophrénie et même la COVID-19. Le coronavirus semble en effet causer des symptômes plus sévères chez ceux qui ont hérité d’une séquence d’ADN néandertalien. Ce segment est présent chez environ 50% de la population d’Asie du Sud et 16% de celle d'Europe.

Le comité Nobel mentionne aussi trois séquences de gènes « archaïques » qui encodent des récepteurs impliqués dans la reconnaissance des microbes et dans les réactions allergiques. Et d’autres gènes hérités de nos cousins qui semblent associés à des troubles du sommeil. Et d’autres encore qui semblent associés à une molécule servant à signaler la présence d’un virus —une séquence qu’on retrouve plus souvent chez un peuple du Pacifique, héritée apparemment d’une rencontre entre des Homo sapiens et un sous-groupe de Néandertaliens.

Rien de tout cela ne dit quoi que ce soit sur d’éventuels traitements, mais ce sont toutes des retombées d’une percée scientifique qui, il y a un quart de siècle, était inédite et ne semblait à première vue intéresser que les passionnés de la préhistoire humaine. Or, il se trouve que c’est précisément ce que récompensent les Nobel de science: des découvreurs dont on peut, avec le recul du temps, mesurer l’impact tangible qu’ils ont eu.

D’autant plus qu’à la frontière de la médecine et de l’évolution, il y a le présent que la paléogénétique commence à éclairer: qu’est-ce qui caractérise un être humain? Autrement dit, qu’est-ce qui fait que nous sommes devenus ce que nous sommes, par rapport à nos cousins disparus? Une partie de la recherche commence ainsi à cibler des gènes qui pourraient être liés à la croissance du cerveau. D’autres chercheurs s’intéressent à des gènes impliqués dans le développement du langage. L’influence qu’a eue le laboratoire de Svante Pääbo sur une nouvelle génération de chercheurs en génétique a depuis longtemps débordé, loin au-delà des Néandertaliens.

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