Comme le savent déjà ceux qui suivent ces actualités, une équipe allemande a dévoilé à la mi-février avoir complété le premier jet du génome d’un homme —ou plutôt d’une femme— du Néandertal. La nouvelle n’était pas une surprise : les experts et les journalistes scientifiques attendaient cette annonce depuis plusieurs mois, et les premiers éléments en avaient été publiés dès août 2008 dans la revue Cell.
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C’est plutôt que chaque étape de cette histoire semble faire reculer les frontières du possible. Tout au long des années 1980 et 1990, parce que notre ADN est une molécule qui se dégrade rapidement, il était pris pour acquis qu’il ne serait jamais possible de décoder des brins d’ADN vieux de plus de quelques milliers d’années. En 1997, l’Allemand Svante Pääbo avait donc accompli un miracle : le décodage de 400 paires de base de l’ADN mitochondrial d’un Néandertalien.
Mais les décodeurs n’étaient pas au bout de leurs peines : non seulement notre ADN complet —ainsi que, présume-t-on, celui du Néandertal— est-il composé de 3 milliards de paires de base, mais en plus, pendant ces milliers d’années, des microbes ont eu tout le temps d’envahir les ossements et d’y ajouter leur propre ADN. Et les humains modernes qui ont manipulé ces os depuis qu’ils sont au musée y ont ajouté un peu d’eux-mêmes.
L’exploit de 1997 semblait donc voué à demeurer la limite qui ne pourrait pas être dépassée. Jusqu’à ce qu’en 2005, les progrès technologiques ne viennent à la rescousse.
Les mêmes progrès qui ont permis de passer d’un décodage du génome humain en 10 ans à un décodage du génome humain en quelques mois, et qui ont permis aux microbiologistes de séquencer en même temps l’ADN de plusieurs microbes partageant le même environnement, ont donné au même Svante Pääbo, associé à un collègue américain —Edward Rubin, de l’Institut conjoint du génome au ministère américain de l’Énergie— d’extraire 27 000 paires de base d’un ancien ours des cavernes.
La « paléogénétique » était née : la paléontologie qui, au lieu d’examiner le passé à travers ses ossements, l’examine à travers ses gènes.
La même technologie allait donner un premier décodage partiel du génome d’un mammouth en 2006 (et complet en 2008), puis des séquences partielles de Néandertaliens en 2007 et 2008. Et enfin —moyennant la récolte de plusieurs os afin d’établir un maximum de recoupements— le stade où on en est à présent.
Faire renaître un Néandertalien?
Mais à présent, où va-t-on? Depuis la mi-février, tous les scénarios ont été évoqués, du plus terre-à-terre (Pääbo et son équipe ayant identifié 60% du génome, ils ont encore du pain sur la planche) au plus... bizarroïde : faire naître d’une mère chimpanzé un bébé néandertalien!
La technologie serait la même que celle qui a conduit à la naissance des premières brebis clonées : vider un ovule de son ADN et le remplacer par l’ADN de l’individu que l’on désire cloner (dans ce cas-ci, un Néandertalien). Naîtrait donc un jumeau d’un individu ayant vécu il y a plus de 30 000 ans.
Éthiquement et moralement, la chose serait-elle acceptable? Oui, si on considère que le Néandertalien n’est pas un humain, donc qu’il se range, en termes juridiques, au même plan que le chimpanzé. Non, si on considère qu’il s’agit d’un être humain.
Était-il un être humain? Pas au sens où nous l’entendons traditionnellement, puisqu’il constituait, biologiquement, une espèce différente. Oui... si on élargit la définition de ce que signifie le fait d'être humain. Bien du plaisir en perspective pour les philosophes.
Plus près de nous toutefois —et plus plausible— est le scénario par lequel une comparaison de cet ADN et du nôtre servira à mieux nous connaître. Le Néandertalien avait un plus gros nez, un corps massif et des jambes courtes. Déjà, un autre paléogénéticien, Carlos Lalueze-Fox, de l’Université de Barcelone, s’est lancé à la recherche des gènes qui, chez nous, expliquent les variations d’un squelette à l’autre, après quoi il compte examiner ces mêmes gènes chez le Néandertalien.
Et il y a l'aspect médical. Parmi les quelques milliers de différences (sur 3 milliards de paires de base) identifiées par l’équipe de Svante Pääbo, une a retenu l’attention : le Néandertalien possédait le gène d’intolérance au lactose. Logique, puisqu’on présume que ce gène n’a commencé à être désamorcé chez nous qu’avec l’apparition de l’agriculture, il y a 10 000 ans (ce qui permet à la plupart d’entre nous de boire du lait toute leur vie). Eh bien ce petit gène est annonciateur d’autres découvertes sur l’évolution, elle qui, aujourd’hui encore, poursuit son travail, en nous, à notre insu. Charles Darwin aurait été fier.