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Pour miner une démocratie, rien de mieux qu’une désinformation bien organisée. Et comme si attaquer les scientifiques, ces dernières années, n’avait pas suffi, voilà que les désinformateurs ciblent… les chercheurs en désinformation.


Ce texte fait partie de notre série sur Les coulisses de la désinformation en science


    À la base, il faut se rappeler qu’une démocratie repose sur sa capacité à générer des débats constructifs sur les plus importants enjeux. Et les débats constructifs, pour être vraiment constructifs, nécessitent que les deux parties s’entendent sur des savoirs communs: autrement dit, des faits « de base ». Dans ce contexte, le plus grand danger qui pèse aujourd’hui sur les démocraties pourrait résider dans cette désinformation bien organisée dont on est témoin, concluent six chercheurs en psychologie et en communications provenant de quatre institutions d’autant de pays. 

    « Les conditions idéales par lesquelles une démocratie peut rendre des décisions « adéquates » sont ébranlées lorsque les citoyens sont désinformés de façon continue », écrivent-ils. C’est particulièrement fort lorsque ces décisions nécessitent de « prendre en considération des preuves scientifiques »: santé publique ou changements climatiques, par exemple. 

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    Les auteurs, dont le psychologue australien Stephan Lewandowsky —auteur de plusieurs études depuis deux décennies sur les mécanismes par lesquels les gens en viennent à croire à des choses fausses— publient une revue de la littérature récente sur la « mésinformation » et « l’intégrité » de la démocratie, dans l’édition de décembre de la revue Current Opinion in Psychology

    Rappelons qu’en matière de désinformation autour du climat, les liens avec l’industrie des carburants fossiles ou les lobbys américains conservateurs ont été dûment documentés. Dès 2008, une compilation révélait par exemple que 90% des livres publiés aux États-Unis et s’affichant comme « sceptiques » face aux changements climatiques, étaient associés (et souvent financés) aux groupes de réflexion (think tanks) conservateurs. Et c’est en plus des dons généreux de l’industrie des carburants fossiles aux élus américains qui votent contre des politiques environnementales, signalait une étude en 2020.

    Si elle continue d’être financée, c’est parce que la désinformation a eu un impact mesurable sur l’acceptation par la population —ou non— de mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Tout comme elle a eu un impact pendant la COVID sur l’acceptation —ou non— des mesures sanitaires. 

    Mais dans les années récentes, on s’est mis à ne plus seulement observer des diffusions de fausses informations autour du climat ou de la santé —ou autour des résultats des élections de 2020, ajoutent les six auteurs. On s’est aussi mis à observer de plus en plus d’attaques personnelles, que ce soit contre des médecins, des climatologues, des journalistes… ou des travailleurs d’élection aux États-Unis, après la défaite de Donald Trump.

    « Dans le cas des scientifiques, les attaques vont des courriels injurieux jusqu’aux menaces de violences physiques ou au harcèlement… Les messages haineux, comme les accusations de « meurtres de masse » envoyés à des climatologues, ont tendance à atteindre des sommets après la publication de leurs adresses de courriels sur des sites gérés par des agents politiques. »

    Mais là où Lewandowsky et ses cinq collègues observent quelque chose de nouveau, c’est dans le fait que ces attaques hostiles ciblent depuis peu les scientifiques engagés dans des études sur la désinformation. Une tendance qui, aux États-Unis, aurait même eu un impact négatif sur la recherche, et ce « au moment où les États-Unis se préparent à une autre élection présidentielle mouvementée ». On peut aussi entrer dans cette catégorie la poursuite déclenchée par Elon Musk contre le Center for Countering Digital Hate, un organisme américain qu’il accuse de diffamation, parce qu’il a publié des rapports détaillant l’augmentation des propos haineux sur Twitter.

    Or, ce n’est pas un hasard si, « presque sans exception, les principaux acteurs » de ces stratégies de désinformation sont « des adhérents libertariens d’extrême-droite » — c’est-à-dire les partisans de idéologie selon laquelle il devrait y avoir le moins de gouvernement possible. Le lien entre cette idéologie et le déni de la science avait d'ailleurs été établi depuis longtemps : à l’évidence, les sciences de l’environnement fournissent de multiples arguments aux défenseurs de l’idée qu’il devrait au contraire y avoir davantage d’interventions étatiques (pour combattre la pollution, protéger la biodiversité, etc). Tout comme la dangerosité du coronavirus a entraîné des politiques gouvernementales de santé publique qui ont été perçues par ces groupes de droite comme une atteinte aux libertés individuelles. 

    Résultat, on est devant des groupes qui, pour défendre leur idéologie, ont désormais un intérêt personnel ou politique à miner la légitimité des régimes démocratiques. Et la désinformation les sert bien —avec un coup de pouce des algorithmes des réseaux sociaux. « Au moment d’écrire ces lignes », concluent les auteurs —la dernière révision de leur texte est datée de la mi-octobre— « il est difficile d’éviter de voir qu’un côté du spectre politique —surtout aux États-Unis mais aussi ailleurs— semble plus menacé par les recherches sur la désinformation que par les risques que pose pour la démocratie la désinformation elle-même. »

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