"Nous n'avons
rien à craindre,
que la crainte elle-même",
disait Franklin Delano Roosevelt
pendant la Deuxième
guerre mondiale. Une phrase
à méditer:
parce que depuis trois semaines,
la peur de l'anthrax est
devenue plus dangereuse
que l'anthrax lui-même.
En plus de fermer des bureaux,
de paralyser une partie
du Congrès américain,
de mobiliser des milliers
de policiers, de pompiers
et d'experts en décontamination,
elle
a engendré une légion
de malades
imaginaires.
Dans une lettre
publiée dans la dernière
édition du British
Medical Journal, un
groupe de chercheurs britanniques,
américains et australiens,
lance carrément un
signal d'alarme: cette psychose
qui s'est propagée
en un rien de temps sur
trois continents pourrait
provoquer rien de moins
que des
"dommages sociaux et psychologiques
à long terme".
En d'autres termes, dans
les faits, l'anthrax lui-même
ne tuera que très
peu de gens, et ne provoquera
rien de plus grave que des
démangeaisons. Mais
la peur de l'anthrax aura
un effet dévastateur.
Et attention,
on ne parle pas ici dun
simple effet psychologique.
En plus des 16 personnes
de cette école mentionnée
plus haut, 35 personnes
sont tombées réellement
malades après une
fausse alerte dans une station
de métro du Maryland
(du liquide s'était
mis à couler d'une
fenêtre). Trente-cinq
personnes qui ont rapporté,
le plus sérieusement
du monde, souffrir de nausées,
de maux de tête et
de maux de gorge.
Il n'y avait
pas un seul spore d'anthrax
dans l'air, ni dans leur
gorges, ni sur leurs vêtements.
Tout s'était passé
dans leur tête.
"Le niveau
général de
malaise, écrivent
les chercheurs dans le British
Medical Journal, de
crainte et d'anxiété,
peut demeurer élevé
pendant des années,
au point d'exacerber des
problèmes psychiatriques
qui étaient déjà
présents et d'accroître
le risque de maladies sociogéniques
de masse" -maladies sociogéniques
de masse: un terme savant
pour parler de malades imaginaires
collectifs.
Et les théories,
qui ne manqueront pas de
surgir, à propos
deffets hypothétiques
de l'anthrax, ne feront
rien pour rassurer. "Des
hypothèses non-confirmées
ou controversées
concernant les effets sur
la santé de l'exposition
à des armes biologiques
ou chimiques vont probablement
devenir des questions litigieuses
chez les scientifiques et
dans les médias."
Questions
litigieuses chez les scientifiques:
faut-il tout de suite évoquer
tout haut toutes les hypothèses
sur ces effets, ou attendre
den savoir plus? Et
est-il nécessaire
denvoyer des gens
vêtus comme des astronautes
pour chaque alerte? Questions
litigieuses chez les médias:
est-il sage de tenir jour
après jour un décompte
des "victimes",
même en sachant que
chez la quasi-majorité
dentre elles, les
effets ne dépasseront
pas le stade des démangeaisons?
Même en sachant que,
pendant ces deux semaines
où une seule personne
mourait dune attaque
à lanthrax,
plusieurs centaines mouraient,
aux Etats-Unis seulement,
dun accident de la
route... sans que quiconque
ne songe à en faire
le décompte chaque
matin!
"Quelques
personnes ont été
affectées... et 50
millions sont devenues anxieuses",
renchérit pour le
New Scientist Leslie
Carrick-Smith, expert en
psychologie des désastres.
Il ny
a vraiment pas de quoi rire.
Les terroristes sont, traditionnellement,
faibles, mais ils
compensent cette faiblesse
par des tactiques de peur,
explique pour la BBC John
Gearson, expert en politiques
de défense au Collège
King de Londres. Le moins
quon puisse dire cest
que, dans la situation présente,
ils ont atteint leur objectif.
Car qui que
ce soit qui a envoyé
ces lettres parfumées
à la bactérie
du charbon, il a drôlement
bien choisi ses cibles.
Les grands médias
et le Congrès américain.
Comme moyen
dobtenir un maximum
de publicité, il
était difficile de
faire mieux. "Ceux
qui font cela, résume
Libération,
ne veulent pas uniquement
tuer des innocents, ils
veulent le faire avec un
maximum de publicité.
Pour l'instant, il faut
reconnaître que cela
marche plutôt bien."