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Ils sont sortis dans la rue. Ils ont tapé sur des casseroles. C’est au Québec, ça aurait pu être ailleurs dans le monde. La capacité des gens à croire en leur pouvoir de changer les choses est un puissant stimulant. Mais pour les nourrir, il faut de l’information.

« Plus grand est le sentiment d’auto-efficacité, plus élevés sont les objectifs que s’impose la personne et l’engagement dans leur poursuite. » Une phrase compliquée pour définir une chose à laquelle nous avons tous été confrontés : plus nous croyons en nos capacités, et plus nous sommes prêts à aller loin.

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Si les gens ne pensent pas qu’ils peuvent produire les résultats qu’ils désirent par leurs actions, ils ont peu de raisons pour agir ou persévérer en face des difficultés.

C’est l’éminent psychologue d’origine canadienne Albert Bandura, de l’Université Stanford, à qui on doit ces phrases. Mais le concept « d’auto-efficacité » qu’il a développé à partir des années 1980, est bien davantage qu'une simple confiance en soi. C'est ce qui fait le pont entre l’individu et les groupes.

C’est qu’à la base, « croire en ses capacités », peut être individuel —oui, je suis capable de faire 100 km à vélo!— mais arrivent des circonstances où l’individu, tout seul, atteint ses limites —améliorer les conditions de travail des journalistes pigistes, par exemple. Du coup, le gros bon sens dicte de passer à une action collective. Et pour passer à cette étape, il faut croire en notre « auto-efficacité », selon les travaux de Bandura.

Comment passe-t-on à l’étape où des gens se sentent prêts à descendre dans la rue avec des casseroles? Le sentiment d’identification à un groupe compte pour beaucoup : les juristes se sentiront plus enclins à protester contre une loi si d’autres juristes le font, et les gens d’un quartier riche se sentiront autorisés à taper sur des casseroles si leurs voisins ont l’audace de le faire.

C’est là une leçon pour les journalistes et les scientifiques qui croient erronément qu’il suffit de prendre un bloc de connaissances complexes et de le vulgariser de la « bonne » façon pour que tout le monde « comprenne ». Parce que l’argument qui va stimuler les juristes n’est pas le même qui va stimuler les artistes. Et aussi parce que dès qu’on parle de « changer le monde », il y aura inévitablement des groupes qui, par biais idéologique, refuseront d’observer les faits provenant de ce qu’eux perçoivent comme étant « l’autre camp ».

Du coup, le défi du vulgarisateur —tentant par exemple d’expliquer la hausse des coûts d’inscription à l’université, le pourquoi de l’évolution « entrepreneuriale » de la recherche ou même l’évolution de l'économie depuis les années 1970— devient de présenter un discours adapté à chaque groupe. De la même façon que ces environnementalistes du Kansas ont mobilisé des citoyens pourtant climatosceptiques, en employant une vulgarisation à saveur économique : comment se libérer de la dépendance au pétrole, comment faire baisser la facture d’électricité...

En vertu du principe voulant qu’il leur sera plus facile de croire à leur capacité de changer le monde si cette perspective de changement se calque sur leurs valeurs personnelles. Et ce, même si ces valeurs peuvent paraître superficielles à d’autres. Puisque ce n'est pas en faisant sentir à quelqu’un qu’on le trouve superficiel qu’on le convaincra d’écouter, même avec la meilleure présentation multimédia du monde.

Parenthèse : l’enseignement d’une pensée critique devrait aussi devenir quelque chose de fondamental à l’école et à l’université, ne serait-ce que pour apprendre à distinguer un fait d’une opinion —mais pour ça, il ne faudrait pas juste en reparler une fois tous les 20 ans, lorsque surgit une crise.

Bien sûr, il y aura toujours des groupes plus faciles à mobiliser que d’autres —les jeunes— et il y aura toujours des gens effrayés par toute forme de changement. Mais même les plus vieux ou les plus réactionnaires ou les plus individualistes sont tôt ou tard touchés émotivement par quelque chose de rassembleur —l’importance d’une meilleure éducation, l’argent de leurs impôts dépensé plus judicieusement, la possibilité d’un plus dans leur qualité de vie... La tâche du vulgarisateur consiste à trouver cette corde sensible.

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