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Cette semaine, s’est produit un événement historique : une trentaine de blogueurs de science francophones se sont rassemblés au même endroit.

Bon, vous penserez que je badine, mais n’empêche, si vous n’avez pas vu la conversation née d’un billet du blogueur Marc Robinson-Réchavi, allez-y. Je ne crois pas qu’on ait jamais vu autant de blogueurs de science, journalistes et chercheurs confondus, dont plusieurs «vedettes», partager la même conversation.

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On est nombreux à se désoler régulièrement qu’il y ait peu d’activités communes, de conversations communes, de partages de liens, bref, de passerelles, entre les différents blogueurs de science de la francophonie, et c’est en partie ce qui a motivé ce billet : en anglais, a écrit Marc, « il y a de nombreux dialogues entre blogs, les gens n’hésitent pas à rebloguer sur un sujet déjà traité pour donner un angle un peu différent ou un point de vue personnel, les blogueurs commentent les uns chez les autres, les blogs se référencent sans cesse ».

Ce qui est très juste. Or, la discussion que son billet a déclenchée, c’en est un, de rassemblement. Et tout un, à notre petite échelle blogosphérique franco. Voyez ça comme un avant-goût du futur... si on y met du nôtre.

- Pour aller plus loin: Donnez un coup de pouce à la blogosphère scientifique francophone (mai 2013) - Une initiative «rassembleuse» encore toute chaude: la création d’un Reddit science francophone

Opposition ou rapprochement?

Certes, il y a aussi du ressentiment derrière cette discussion, parce qu’elle est née de l’annonce faite par Le Monde qu’il lance trois blogues de science, tous faits par des journalistes, et non des scientifiques. Arthur Charpentier, dans son blogue Freakonometrics , y voit du nivellement par le bas et dit ressentir au terme de la discussion «une opposition forte entre les scientifiques et les journalistes».

Mais cette discussion est au contraire l’essence même du rapprochement auquel en appelle Marc Robinson-Réchavi. Quelle tribune, quel média, quel canal de diffusion, aurait pu permettre il y a 15 ans une telle discussion sur la valeur de la vulgarisation, entre des gens séparés par des océans géographiques et institutionnels?

Le blogueur Tom Roud se désole sur Twitter du choix éditorial du Monde. «Il semble donc que l’avenir du blog sur les sciences soit le journalisme scientifique. Pas sûr que ce soit un progrès.»

Mais cette réaction vise la mauvaise cible. Pensez à ceci: c’est quand, la dernière fois qu’un quotidien français a ouvert des blogues de science? Non, corrigeons : c’est quand, la dernière fois qu’un quotidien francophone a ouvert un espace tout court à la science?

Comme disait l’autre, les rumeurs de ma mort sont quelque peu prématurées...

20 millions!

Le journaliste et blogueur Pierre Barthélémy s’était réjoui, lors de l’annonce de cette triade, que son propre blogue vienne alors de franchir la barre des 20 millions de pages vues —un exploit qui, dit-il, n’est peut-être pas étranger à la décision de son journal.

Or, à votre avis, si Passeur de science avait été un blogue sur le sport ou la politique, quel journal aurait attendu 20 millions de visites avant de se convaincre que, oui, après tout, d’autres blogues sur le sport ou la politique, ce serait peut-être une bonne idée?

C’est drôle, parce que j’ai passé les 10 dernières années à pondre régulièrement des constats pessimistes sur le déclin de l’information scientifique dans les médias: les journalistes qui partent à la retraite ne sont pas remplacés, les pages Science disparaissent. Voilà un aspect du problème dont tout critique des médias doit tenir compte.

Josée Nadia Drouin et moi avons aussi passé les 10 dernières années à prêcher dans le désert auprès de journalistes —et même un directeur de programme universitaire— pour qui les blogues sont une forme de sous-journalisme à peine digne de mention, certainement pas digne d’être publiée dans un grand journal. Donc, le fait que Le Monde s’ouvre davantage aux blogues, et aux blogues de science de surcroît, voilà un sacré bond en avant.

- Pour une perspective historique sur les coupes : Unpopular Science (The Nation, août 2009) - Les 35 ans de l’Agence Science-Presse : nouvelles pistes pour le journalisme scientifique (novembre 2013)

Pour bâtir une communauté, cela va sans dire, il faut davantage rechercher les ressemblances que de se laisser décourager par les différences. Entre chercheurs et journalistes scientifiques, existe indéniablement un intérêt commun pour l’information scientifique de qualité, pour les nouveaux outils de communication... et un intérêt commun pour une plus grande diffusion auprès de publics qui n’y sont pas gagnés d’avance. Vous voulez qu’il y en ait plus? C’est aussi à vous de travailler pour que la prochaine étape, ce soient, qui sait, des scientifiques qui bloguent au Monde. Ou pour que votre journal local emploie deux ou trois journalistes scientifiques... plutôt que zéro.

C’est aussi à vous de travailler pour que votre institution académique préférée achète de la publicité dans un petit média ayant à coeur la science. Comment croyez-vous que ces petits médias vont survivre, si tout le monde attend que Le Monde, Ouest-France, Métro ou Le Journal de Montréal, embauchent des scientifiques?

En plus, c’est là un de ces efforts pour lequel les chercheurs n’auraient aucun mal à trouver des alliés parmi les journalistes, et vice-versa...

- Des exemples d’évolution de l’information qui mériteraient beaucoup plus d’attention : le Huffington Post et ses blogues de science douteux, les chaînes de télé spécialisées et leurs contenus désolants, la rémunération médiocre des journalistes pigistes (parce que la majorité des journalistes scientifiques sont des pigistes)

Rassemblez, ils viendront?

En définitive, c’est en partie ça, qui explique le succès des blogues de science anglophones : intérêts communs. Le congrès annuel Science Online est le symbole même de gens que leurs façons de travailler très disparates n’ont pas empêchés de se parler. On peut en effet critiquer la couverture journalistique de la bactérie à l’arsenic ou de l’affaire Séralini tout en sachant reconnaître qu’il existe d’excellents journalistes et des médias pas trop mauvais.

Quant à l’anthologie annuelle The Best Science Writing Online (anciennement The Open Laboratory), qui a inspiré l’anthologie Les Meilleurs blogues de science en français , elle est le symbole même d’un rassemblement qui traverse les barrières professionnelles. À en juger par tous ceux qui n’ont même pas été sélectionnés, mais sont fiers de dire qu’ils appartiennent à une communauté aussi dynamique. Et à en juger par les médias qui, ici et là, grâce à ce livre, font découvrir à de nouveaux lecteurs l’existence de la blogosphère scientifique.

- L’avenir est biaisé en faveur des blogues - Journalistes et blogueurs: l’entente cordiale

On s’est souvent demandé si l’écart entre les blogueurs anglos et francos —ah, ces anglos si prolifiques— venait d’une «culture communicationnelle» moins développée chez les francos. Je me demande plutôt si ça ne vient pas d’une plus grande naïveté des francos : qu’ils soient jeunes chercheurs ou jeunes journalistes, ils me semblent avoir souvent une chose en commun —une autre— cette croyance suivant laquelle il suffirait juste d’un peu de bonne volonté pour que déferle soudain beaucoup de science dans les médias. Alors que les anglo-saxons semblent davantage conscients du fossé à combler pour rejoindre un public élargi, et s’attellent à la tâche en conséquence. On se retrousse les manches?

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