En manchette la semaine dernière:
Le désir d'avoir son double
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Génome: pour une poignée
de dollars
Chronologie du
génome humain
La porte s'ouvre
sur la science spatiale
Le bouton de
l'orgasme
L'ultime étreinte
avec Eros
Et plus encore...
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Génome: acte un, scène deux
Elle est vraiment étrange, cette annonce du séquençage
du génome humain qui est faite cette semaine en grandes
pompes. Etrange, parce que d'une part, c'est exactement la même
annonce qu'en juin dernier, mais ça, peu de gens vous
l'ont précisé. Et étrange, parce que les
retombées tangibles sont encore à des années,
voire des décennies, dans le futur -même si, à
écouter les reportages, on a l'impression que c'est pour
demain.
Que pensez-vous du décodage du génome?
Discutez-en dans le forum Science-Presse/Médito
Voyez aussi notre chronologie
du génome
Certes, le mois de février 2001 est à marquer d'une
pierre blanche. Tous les livres d'Histoire garderont désormais
en mémoire que c'est à ce moment que la science
a officiellement franchi une étape majeure. Une étape
qui, symboliquement, est aussi importante que le jour du débarquement
sur la Lune, ou l'année de l'invention de l'imprimerie:
la longue chaîne des trois milliards de "lettres"
qui composent les gènes qui composent eux-mêmes
un être humain. Après plus de 10 ans de travail
impliquant des milliers de scientifiques aux quatre coins du
monde, la
porte est ouverte au décodage d'une foule de maladies,
de comportements, d'aberrations ou de coups de génie.
Mais cette porte, n'avait-on pas annoncé son franchissement
en juin dernier? N'était-ce
pas exactement ce qu'on avait annoncé lors d'une cérémonie
qui avait réuni les mêmes chercheurs, dans les mêmes
capitales (Washington, Londres, Paris, Tokyo) assortis des mêmes
politiciens, ou presque? En effet. Sauf que les annonces grandiloquentes
sont une chose, et la recherche scientifique en est une autre.
Il a fallu tous ces mois à ces chercheurs pour mettre
par écrit leurs résultats (cartes des deux génomes
décodés, puisqu'il y en a deux, carte des nucléotides,
séquences de télomères, carte
du chromosome Y, etc.), et les faire réviser par leurs
pairs, avant que les dits résultats -totalisant une bonne
vingtaine d'études- n'aient enfin l'honneur de la publication,
dans les deux plus prestigieuses revues savantes de la planète:
Science et Nature.
Et cette publication est en elle-même une aventure à
part, pas très glorieuse pour l'univers feutré
de la recherche scientifique: une partie de cette publication
est privée, accessible uniquement à ceux qui voudront
bien payer; l'autre
est accessible à tous (lire
cette nouvelle).
Deux petits génomes et puis s'en vont
Ces sept mois écoulés depuis juin ont-ils permis
de mieux voir où cette porte va nous conduire ? Pas vraiment.
Médicalement, il est encore
trop tôt pour avoir fait des percées importantes
du côté des maladies héréditaires
(myopathie, chorée de Huntington, ou autres maladies rares)
ou de maux qui n'ont rien d'héréditaire mais pourraient
avoir une cause génétique (cancer, Alzheimer, diabète,
hypertension, ou même l'alcoolisme). Beaucoup trop tôt
parce que, rappelons-le, ce que les généticiens
ont entre les mains, c'est un bottin téléphonique
de trois milliards de lettres: mais il leur reste encore à
découvrir les fonctions de chacune de ces lettres, et
cela -comme nous l'écrivions en
juin dernier- pourrait prendre des décennies.
"Les médias
font force battage sur le fait que ce soit fini, sans comprendre
que c'est loin d'être fini", lance à l'Agence
France-Presse Cathy Schaeff, professeur associée du département
de biologie de l'Université américaine de Washington.
Mais il y a un domaine où les choses ont bougé,
depuis sept mois. Le domaine... financier. Est-il besoin de le
rappeler, la course aux gènes est une course commerciale.
Celui qui mettra la main le premier sur le gène de telle
maladie espère ainsi s'assurer un brevet qui pourrait
lui rapporter des milliards. Et bien que les compagnies de biotechnologie
aient souffert du recul de la bourse -une chute de près
de 40% depuis mars 2000- elles n'en attendent pas moins leur
heure. Ne vous étonnez pas de les voir, au cours des deux
prochaines années, concentrer leurs efforts sur des gènes
prédisposant aux maladies les plus... lucratives. Comme
les cancers du sein ou de la prostate. Pour ces compagnies, février
2001 n'est pas un aboutissement: ce n'est que le commencement.
"Bien sûr, résume le journaliste de Nature,
il y a une signification profondément symbolique à
la publication de ce livre
des gènes. Mais ce n'est pas
un livre que vous pouvez lire du début à la fin
-du moins, pas si vous voulez comprendre ce qu'il dit."
En vérité, plutôt que de le comparer à
un livre, c'est à "une matrice ou à un réseau"
qu'il faudrait désormais comparer le génome.
Car le travail des prochaines décennies est bien plus
compliqué que s'il s'agissait de rechercher la fonction
de ces gènes, l'un après l'autre. Il va falloir
comprendre les interactions entre deux, trois, voire dix gènes.
Il va falloir comprendre les protéines produites par ces
gènes, un
domaine, appelé la protéomique, qui commence à
peine à être défriché. Il va falloir
comprendre le rôle de ces gènes "parasites",
ou gènes "mobiles" dont on saisit encore mal
la raison d'être. Il va falloir comprendre pourquoi à
peine 1% de nos gènes contient peut-être le potentiel
d'un médicament. Il va falloir localiser ce 1%. Et constater
que ce 1% peut varier d'une personne à l'autre: autrement
dit, il est possible que vous soyez prédisposé
à développer une maladie, parce que vous avez le
gène défectueux, mais que vous ne développiez
jamais cette maladie... pour des raisons tout à fait obscures.
Comme quoi il y a encore beaucoup plus de chemin à faire
que ne le laissent soupçonner les annonces grandiloquentes
et les savantes
analyses...
La génomique sera la base de la biologie du XXIe siècle,
renchérit le directeur de l'Institut Whitehead à
Cambridge (Massachusetts), un des chefs de file de cette recherche
depuis 10 ans. Mais la biologie devra pour cela s'inventer une
nouvelle façon de travailler, pour faire face à
ces protéines et à ces gènes qui ne suivent
pas des comportements linéaires (A influence B qui influence
C), au contraire de ce à quoi la biologie avait jusqu'ici
été habituée.
Sommes-nous juste un assemblage de gènes ?
On a comparé plus haut ce décodage au débarquement
sur la Lune. Peut-être faudrait-il le comparer aussi à
la "découverte" que la Terre n'était
pas au centre de l'Univers. Car il n'y a pas à proprement
parler un jour où on peut dire, "voici le jour où
les humains ont découvert que la Terre n'était
plus le nombril du cosmos". C'est une prise de conscience
qui a pris des générations à faire son chemin.
Une fois que ce chemin fut fait, l'humanité n'était
plus la même.
La même chose pourrait se produire avec la génomique.
A côté des études savantes publiées
cette semaine, plusieurs experts se sont surpris à philosopher
sur l'impact peut-être le plus profond de cette connaissance
nouvelle: tôt ou tard, l'humanité prendra conscience
à quel point elle est similaire à tout ce qui grouille
sur cette planète. Nous partageons des gènes, en
nombre étonnant, avec des espèces aussi lointaines
que la bactérie ou le plant de riz. De quoi en devenir
très humble, souligne, dans Science, Svante Paablo,
anthropologue à l'Institut Max Planck de Leipzig (Allemagne).
Et non seulement en partageons-nous beaucoup, mais en plus,
notre génome ne compte peut-être que 30 000 gènes
-beaucoup moins que les estimations de l'an dernier. Soit à
peine deux fois plus que le génome de la mouche à
fruit. A peine une fois et demi plus que le génome d'un
ver. Et
à peine 300 de plus qu'une souris! De quoi donner
un choc à ceux qui se croient encore le summum de la Création...
Ou pis encore, aux abrutis qui se décrivent encore
en termes de "pureté de la race"...
"Le défi, résume Science en éditorial,
est de cesser de penser en terme d'un gène à la
fois et d'essayer de comprendre
la totalité de l'ensemble en tant que système complexe.
Il nous faut considérer comment un si petit nombre de
gènes est capable d'engendrer une mouche ou une personne."
Et ça, ça a de quoi bouleverser bien des façons
de penser que partagent citoyens, philosophes... et religions.
En attendant que cela bouleverse aussi la vision très
capitaliste de la science qu'entretiennent certains scientifiques...
Mais ça, ça risque de prendre plus de temps...
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