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Le désir d'avoir son double
Pour la 3e fois en autant d'années, des gens bardés
de diplômes en science viennent de faire part de leur intention
de cloner un être humain. Au milieu de tout cela, un couple
qui souhaite voir renaître son bébé décédé
tragiquement à l'âge de 10 mois. Peut-on vraiment
croire qu'un tel désir puisse s'éteindre?
Craignez-vous le clonage humain?
Discutez-en dans le forum Science-Presse/Médito
La réponse, bien sûr, est non. Au-delà
de toutes les interrogations morales, éthiques, voire
religieuses, qu'a soulevé l'annonce,
la semaine dernière, de ces médecins prêts
à cloner qui en fera la demande, au-delà du
fait que le "père" de la brebis Dolly lui-même
ait qualifié "d'irresponsable" cette annonce,
le fait est que rien ni personne ne pourra empêcher des
parents de vouloir remplacer l'enfant qu'ils ont perdu. Et si
le clonage humain s'avère un jour réalisable, il
sera réalisé.
Il était une fois, raconte
le New York Times dans un impressionnant dossier (en ligne gratuitement jusqu'au 11 février
; la lecture peut nécessiter une inscription gratuite),
un couple de parents américains qui avait perdu un garçon
de 10 mois, à la suite de complications post-opératoires.
Ils ont deux autres enfants, et ne sont pas stériles.
Ils sont tous deux dans la trentaine. Ils pourraient donc avoir
un autre bébé. Mais ils ne veulent pas un autre
bébé. Ils veulent ravoir celui qu'ils ont perdu.
Et après cette tragédie, survenue l'an dernier,
quatre ans après Dolly, ils se sont mis à croire
que ce rêve n'était plus impossible. En juin 2000,
ils ont rejoint un groupe de gens qui y croient eux aussi. Une
secte religieuse: les raëliens. Qui croient que l'humanité
a été créée en laboratoire par les
extra-terrestres. Et qu'en manipulant les gènes, transformant
la nature et progressant sur la voie du clonage, les Terriens
ne font qu'accomplir le dessein tracé par Eux.
Ce qui ne gâte rien, le couple a beaucoup d'argent.
Et si ça ne marche pas avec eux, 50 jeunes femmes ont
déjà fait part de leur accord pour servir de donneuses
d'ovules ou de mère-porteuses.
Le décor est planté, les acteurs sont prêts.
Ne reste plus qu'à danser.
Qui fera le premier pas ?
Dès 1997, il y avait eu ce Dr Richard Seed, un Américain
qui avait eu ses 10 minutes de gloire en devenant le premier
scientifique à faire publiquement part de son intention
d'effectuer un clonage humain. Il s'était offert lui-même
comme "matériau" de la première tentative,
et affirmait son intention d'ouvrir une clinique de clonage aux
Etats-Unis. Mais ce physicien qui n'avait jamais étudié
de sa vie en médecine ou en biologie n'avait jamais été
vraiment pris au sérieux par ses collègues (quoique
les médias lui aient à l'époque accordé
une importance démesurée).
Un peu plus sérieux, en dépit des apparences,
était le projet des raëliens et de leur compagnie
basée aux Bahamas, Clonaid. Sérieux, en partie
parce qu'il y a derrière ce projet Brigitte Boisselier,
une chimiste française qui dit avoir attiré autour
d'elle trois spécialistes, dont un généticien
-le Dr Seed, lui, un physicien, semble n'avoir jamais attiré
personne.
Mais de loin plus sérieux par contre, est cette troisième
annonce en trois ans, faite la semaine dernière par un
consortium privé. Le
groupe est cette fois formé de deux spécialistes
de la reproduction, dont un gynécologue italien, le
Dr Severino Antinori, qui a déjà fait part dans
le passé de son appui au clonage, et dont le travail inclut
des recherches pour aider les femmes post-ménopausées
à redevenir enceinte. En compagnie de son collègue
américain, Panayiotis Zavos, il affirme pouvoir cloner
un premier humain d'ici 18 à 24 mois. Et il soutient qu'un
pays "méditerranéen" qu'il refuse d'identifier,
est déjà prêt à accueillir leur clinique.
Au bon endroit au bon moment ?
Le moment semble en tout cas on ne peut plus propice : il
y a maintenant quatre ans et demi qu'a été clonée
Dolly. Des boeufs et des souris ont été clonés.
Des cellules d'embryons humains sont manipulées avec succès.
Ce n'est qu'une question de temps, semble-t-il, avant qu'on apprenne
que, quelque part dans le monde, est né le premier enfant
humain cloné.
Mais il subsiste un obstacle, et de taille: le clonage est
encore loin d'être au point. Le taux d'échec est
effarant, et les chercheurs n'arrivent même pas à
expliquer pourquoi. Il faut des centaines de tentatives pour
voire naître un seul bébé. Parmi ceux qui
naissent, on constate une proportion étrange de malformations
ou de poids supérieurs à la moyenne. On ose à
peine imaginer la souffrance, les traumatismes et les dommages
psychologiques chez un groupe de futures mères, s'il fallait
en passer par une course à obstacle aussi effroyable.
Bref, il faudrait vraiment avoir la foi pour accepter d'en
passer par là... Or, la foi est justement l'ingrédient
premier qui motive les raëlliens, fait remarquer Gregory
Stock, de l'Ecole de médecine de l'Université de
Californie à Los Angeles. "S'ils ne réussissent
pas, quelqu'un d'autre le fera d'ici cinq ans."
Et le plus étonnant, c'est que nous serons pris par
surprise, note le New York Times. Parce que depuis Dolly,
le débat a progressivement glissé de la sombre
perspective d'une armée de clones-zombies vers le clonage
de tissus à des fins de greffes ou de transplantations.
Le dégoût qui accompagnait à l'origine la
seule mention du mot clonage a été remplacé
par un mélange de curiosité et de fascination,
devant les perspectives qu'ouvre "l'autre" clonage,
le clonage thérapeutique, celui qui consiste non pas à
doubler une personne, mais à seulement doubler quelques-unes
de ses cellules. Même les bioéthiciens admettent
maintenant que le clonage a ses bons côtés.
Des sites web comme celui de la compagnie australienne Southern
Cross Genetics (qui offre, moyennant paiement, d'entreposer votre
ADN en vue d'un futur clonage) ou celui de la Human Cloning Foundation
(un groupe marginal qui se définit comme faisant du lobbying)
reçoivent ou affichent des tonnes de courriers de la part
de gens qui veulent en savoir plus sur le clonage, ou souhaitent
faire cloner l'un de leurs proches ("est-ce qu'un cheveu
suffira pour le cloner?", demande une mère éplorée).
Clonaid, la compagnie raëlienne, affirme avoir reçu
des centaines de demandes de parents qui veulent profiter de
ses " services " pour faire renaître un enfant
décédé, ou pour obtenir un double d'eux-mêmes.
La directrice scientifique Brigitte Boisselier, en entrevue au
Times, ne voit là rien de mal. Cela lui semble
au contraire un désir tout à fait normal, celui
de "perpétuer nos gènes". Le fait qu'un
clone ne sera pas à proprement parler un double, une copie
conforme, mais plutôt un genre de frère jumeau ou
de soeur jumelle qui aurait quelques années de moins,
n'altère en rien sa conviction.
Il n'y a pas qu'elle, et c'est bien là le paradoxe:
les gens semblent avoir compris étonnamment vite qu'un
bébé qui naît par clonage a les mêmes
gènes que "l'original", aura les mêmes
traits, mais n'aura pas les mêmes pensées, les mêmes
goûts, les mêmes habitudes, parce qu'il sera élevé
dans un environnement différent, avec des parents qui
auront vieilli, avec des instituteurs et des amis différents...
Bref, ce sera une personne distincte. Et pourtant, ceux qui désirent
un clone le veulent tout autant, même en sachant tout cela.
"Ils veulent le faire, résume la journaliste du
Times, parce qu'ils veulent prévoir le plus de
choses possible sur leur futur enfant." Prévoir à
l'avance ce que sera son enfant... Bien au-delà de la
science, même le plus prévoyant des parents pourra
vous le dire, voilà la plus grande des illusions...
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