James Grifo, le scientifique par qui
le scandale est arrivé la semaine dernière,
n'est pas un novice. Ce chercheur de l'École
de médecine de l'Université de New
York, qui a dû se rendre jusqu'en Chine pour
mener à bien son expérience sans être
embêté, faisait la manchette dans
cette même page en 1998. Et pour la même
raison: un embryon implanté dans un utérus
avec une méthode
ressemblant dangereusement à celle employée
pour le clonage de la brebis Dolly.
On prend l'ovule d'une mère-donneuse,
on le vide de son noyau (donc, de son bagage génétique),
on remplace celui-ci par le noyau de la future maman,
on fertilise le tout avec le sperme du papa, et
on réimplante dans l'utérus de la
maman.
L'idée ici n'est pas de créer
un clone, mais
de permettre à une femme de 30 ans souffrant
d'une malformation des ovaires -et dont deux fertilisations
in vitro auraient déjà échoué-
d'avoir un bébé, en "protégeant"
le noyau de son ovule par la "carapace" (le cytoplasme)
d'un ovule sain. Mais si on avait voulu obtenir
un clone de cette femme, c'est à peu près
ainsi qu'on aurait procédé, à
ceci près qu'on n'aurait pas fertilisé
cet ovule "amélioré" par le papa.
Le Dr Grifo a qualifié d'irresponsables
ceux qui établissent une comparaison entre
sa technique et le clonage.
La nouvelle, annoncée dans
le cadre du congrès annuel de la Société
américaine de médecine reproductive,
a déclenché les hauts cris dans la
communauté médicale. Trois
foetus ont été implantés dans
l'utérus de cette Chinoise de 30 ans
avec succès; mais le premier a été
avorté par les médecins avant la fin
du premier mois, le deuxième est mort à
24 semaines et le second, à 29 semaines.
En 1998, les tentatives de faire croître
des foetus avaient échoué aux tout
premiers stades de la grossesse. Le Dr Grifo affirme
que les fausses couches, cette fois, sont liées
au fait qu'il s'agissait d'une grossesse multiple.
La plupart des autres experts pointent plutôt
du doigt la technique employée qui, disent-ils,
a
dû provoquer des dommages de nature encore
inconnue au futur foetus.
"Vous aurez de la difficulté
à trouver des gens qui appuieront" ce geste,
a lancé l'expert britannique en médecine
reproductive Chris Barratt, de l'Université
de Birmingham. Tout comme pour le clonage, on ignore
totalement quel type de dommages ce transfert pourrait
apporter aux gènes du futur enfant -à
supposer que celui-ci finisse bel et bien par naître.
Et ce n'est pas tout: on ignore également
si le fait d'avoir une petite poignée de
gènes de la mère-porteuse -les gènes
mitochondriaux, eux qui ne sont pas contenus dans
le noyau, mais dans le cytoplasme- ne pourrait pas
causer des dégâts chez l'embryon. Bref,
on ne sait pas grand-chose.
La procédure -appelée
transfert de noyau humain- aurait
été incidemment illégale en
Grande-Bretagne, parce qu'elle implique manipulation
d'embryon, et elle a été déclarée
illégale aux Etats-Unis en 1998, après
la première tentative de James Grifo.
C'est la raison, a reconnu James Grifo,
pour laquelle le travail a été accompli
avec des collègues chinois à l'Université
Sun Yat-Sen de sciences médicales, à
Guangzhou. Mais la technique, une fois complétée
l'expérience, a été décrétée
illégale en Chine la semaine dernière,
a annoncé le gouvernement chinois.
Les résultats ont tout de même
été publiés dans une revue
américaine, Fertility and Sterility,
qui est justement la revue de la Société
américaine de médecine reproductive.