La question resurgit,
en cette semaine où le président
américain George Bush annonce
de nouveaux projets de conquête
de l'espace. De nouveaux projets
censés fouetter l'ardeur
et la fierté nationale.
Mais surtout, de nouveaux projets
qui serviront à sortir la
Nasa de l'impasse où elle
est plongée depuis des années
avec les navettes spatiales -une
technologie des années 70,
qui n'a jamais rempli ses promesses-
et avec la station spatiale -dont
les retombées scientifiques,
peu évidentes, sont pratiquement
tombées au point zéro,
depuis que son équipage a
été limité
à trois personnes, puis à
deux (voir
ce texte).
Et des projets qui
serviront grandement l'industrie.
Car si la navette et la station
spatiale sont vouées à
disparaître d'ici 2010, il
y a deux géants de l'aérospatiale
qui vont s'en mordre les pouces:
Lockheed Martin (gestionnaire du
programme de la navette) et Boeing
(principal contractant pour la station).
Or, si les États-Unis se
lancent dans une nouvelle phase
de l'exploration spatiale, en vue
d'une colonisation de la
Lune d'abord et de Mars ensuite,
il y aura deux compagnies qui en
retireront de judicieux bénéfices:
Lockheed Martin et Boeing.
Il n'y a pas que Lockheed
et Boeing en lice. Au cours des
années 90, la chaîne
Hilton a déposé le
projet d'un hôtel pour millionnaires
sur la Lune, un intérêt
manifesté tout aussi sérieusement
par la firme de construction japonaise
Shimizu. D'autres ont fait des prévisions
budgétaires en vue de l'extraction
de minerais sur notre satellite
ou la construction de gigantesques
collecteurs d'énergie solaire,
énergie qui serait ensuite
relayée vers la Terre. Ces
projets et bien d'autres, réalistes
ou pas, auraient pour avantage d'amener
des compagnies à investir
elles aussi dans l'exploration spatiale,
créant ainsi de l'emploi
pour des ingénieurs et des
techniciens.
Et ces derniers auront
bien besoin de ces emplois, si la
navette et la station approchent
de leur mort: car le centre spatial
Kennedy, en Floride, lorsqu'il fonctionne
à plein rendement, emploie
quelque 14 000 personnes et envoie
chaque année 1,4 milliard$
dans l'économie floridienne,
selon une estimation du New York
Times.
Les
observateurs, eux, font part de
leur fort scepticisme, depuis
que les fuites sur cette annonce
du président Bush ont commencé
à circuler, en décembre
(voir
ce texte). Envoyer des humains
sur la Lune et sur Mars, même
si on étale cela sur un quart
de siècle, coûtera
une fortune. George Bush père
avait lui-même mis sur la
table un tel projet, en 1989: on
estimait alors les coûts d'un
retour sur la Lune entre 400 et
500 milliards$. Le Congrès
avait rejeté l'idée.
Le Congrès actuel pourrait
d'ailleurs rejeter la version 2004
de cette idée: mais en attendant,
elle aura été mise
sur la table, à
temps pour les élections
présidentielles de novembre
prochain.
Or, les responsables
de ces fuites calculées,
autant à la Maison-Blanche
que dans le milieu scientifique,
ont été très
vagues sur la question des coûts:
quelqu'un comme Bruce Murray, ancien
directeur du Jet Propulsion Laboratory,
a souligné avec optimisme
le fait que l'hydrogène et
l'oxygène martiens fourniraient
en abondance le carburant nécessaire
au voyage de retour... mais il a
éludé ce que coûterait
toute la préparation du voyage!
Et ce, alors que la
station spatiale vit une fuite d'air
qui n'a toujours pas été
colmatée (voir
ce texte). Alors que le Pentagone
n'arrive pas, après deux
ans, à mettre au point un
système de défense
spatial qui soit fiable. Alors que
la nouvelle génération
de satellites-espions, pourtant
censée être la crème
de la technologie, est en retard
sur le calendrier. Bref, disent
les experts de tous bords interrogés
depuis décembre, la Nasa
et, avec elle, la communauté
spatiale, souffre de plusieurs lacunes
profondes, vit essentiellement sur
sa gloire passée et
n'a pas les moyens de préparer
quelque chose d'aussi ambitieux
qu'une base lunaire.
Ce n'est pas de nouveaux
budgets dont a besoin la Nasa, mais
de nouvelles têtes, selon
Rick Tumlinson, fondateur de la
Space Frontier Foundation, groupe
privé promoteur de l'exploration
spatiale. Une nouvelle génération
de dirigeants, ajoute l'ingénieur
Jerry Grey, directeur de l'American
Institute of Astronautics and Aeronautics,
avec
une nouvelle génération
de technologies: pour les moteurs
ioniques, pour l'entreposage de
l'air et des aliments, pour les
communications, pour la protection
anti-radiations, etc.
Une nouvelle "culture
d'entreprise" devrait voir le jour
à la Nasa, comme l'évoquait
la commission d'enquête sur
l'accident de Columbia. Sans quoi,
on se lance dans un projet à
long terme qui, en 2020, sera peut-être
tout aussi discrédité
que les navettes le sont aujourd'hui.