Et ça ne fait que commencer:
la quantité d'informations ramassées par la
sonde Huygens pendant quatre petites heures est énorme.
Température ambiante, vitesse des vents, densité
de l'air, analyse du sol, analyse de l'air y compris
la "récolte" d'un brin d'air, au moyen d'un bras
articulé, puis son chauffement à 600 degrés
Celsius, à la recherche de molécules organiques.
Pour l'instant, les données confirment
les prévisions sur l'atmosphère de Titan -la
seule lune connue à posséder une atmosphère.
Mais en fin de semaine, la question la plus lancinante que
se posaient les scientifiques, alors qu'entraient les photos
en noir et blanc, était bien loin des
arcanes de la science. Lors du "coloriage" à l'ordinateur,
quelle teinte d'orange correspond exactement à ce
que Huygens a vu?
Les couleurs de Titan
Au fil de sa descente au bout d'un parachute,
la sonde européenne a traversé une purée
de pois, tirant entre le jaune et l'orange, riche en poussières.
Elle a eu le temps de prendre 350 photographies, dont certaines
tout près du sol: on n'en a vu que quelques-unes
jusqu'ici. Certaines ont été perdues en raison
d'une erreur humaine qui n'a entraîné l'ouverture
que d'un seul des deux canaux de Cassini, la sonde qui avait
largué Huygens trois semaines plus tôt.
L'air de Titan
Une purée de pois riche en poussières.
Mais aussi en méthane. L'atmosphère de Titan
est composée à 6% de méthane, ce qu'on
savait déjà. Et une des photos révèle,
au-dessus du sol, un épais banc de brouillard de
méthane.
Ce qui ramène la question-clef:
d'où provient-il, ce méthane? Car pour que
le méthane soit aussi abondant dans l'air, il faut
qu'il soit produit quelque part dans le sol, sans quoi il
se serait depuis longtemps éparpillé. Il faudra
attendre quelques semaines le temps, entre autres,
d'avoir les réponses à ce chauffage à
600 degrés Celsius. Source volcanique? Ou source
organique? S'il y a des molécules organiques là-bas
c'est-à-dire non pas de la vie, mais les "briques"
qui précèdent la vie peut-être
cette analyse les aura-t-elle détectées.
Les vents de Titan
En haute altitude, Huygens a été
secouée par des vents de près de 500 kilomètres
à l'heure, a
estimé Jean-Pierre Lebreton, directeur de la mission.
Ou 130 mètres par seconde, ce qui est trois à
quatre fois plus que les vents moyens mesurés sur
Terre en haute altitude.
Il y avait un microphone à bord:
il a enregistré ces vents, et l'Agence spatiale européenne
a déjà fait entendre une partie de l'enregistrement:
il s'agit des premiers sons qu'on ait jamais reçus
d'un autre monde.
La surface de Titan
Arrivée au sol, Huygens a disposé
d'un peu plus d'une heure, tant que Cassini était
encore au-dessus de l'horizon, pour lui transmettre ses
informations. Elle a d'abord survécu à l'atterrissage,
ce qui est déjà beaucoup (les ingénieurs
les plus pessimistes parlaient d'une survie de 3 minutes):
une des craintes était qu'elle ne s'enfoncent dans
un marais d'hydrocarbures (le méthane est un hydrocarbure).
Et si le profane ne voit sur les premières photos
qu'une surface rocailleuse, le géologue, lui, voit
une planète vivante: autrement dit, une surface qui
a été perturbée par une activité
sismique ou volcanique. Ainsi que des cailloux qui semblent
avoir été érodés, mais par quoi?
De là-haut, Huygens a vu plus
encore: des serpentins qui pourraient être des lits
de rivières, des lacs, des îles, des côtes...
Il n'y a certainement pas d'eau sur cette lune la
température avoisine les moins 180 degrés
Celsius mais est-ce
que les hydrocarbures seraient assez abondants pour avoir
laissé toutes ces traces? Si oui, il faut une
activité sismique ou volcanique violente pour les
éjecter régulièrement de l'intérieur
de Titan jusqu'à la surface.
Un planétologue avance aussi
comme hypothèse l'effet de marée: l'énorme
masse de Saturne, en tirant et en poussant sur Titan, pourrait
en théorie engendrer des mouvements de plaques tectoniques
et créer ainsi de multiples crevasses que notre oeil
de Terrien associe à des "rivières". Mais
encore faut-il qu'il y ait des plaques tectoniques; car
cela supposerait aussi la présence, loin sous la
surface, d'une activité intense (le magma), comme
sur Terre.
Solide ou liquide?
Pendant une fraction de seconde, Huygens
a récolté une information qui va probablement,
à elle seule, occuper une armée d'étudiants
imaginatifs. Au moment de l'atterrissage, un instrument
de métal a pénétré le sol d'environ
15 centimètres. Pendant cette fraction de seconde,
les instruments ont noté que le bras s'enfonçait
rapidement, comme on pouvait s'y attendre sous la force
de l'impact, puis ralentissait comme s'il atteignait une
couche moins solide.
Une surface dure au-dessus d'une
couche molle: comme
de la crème brûlée, a avancé
le Britannique John Zarnecki, responsable des instruments
scientifiques. Là aussi, une présence liquide,
il n'y a pas si longtemps, pourrait être responsable
de ce "sable humide" au-dessus duquel s'est, depuis, formé
une croûte. Un lac d'hydrocarbures, présent
pendant une longue période et jusqu'à assez
récemment, aurait pu éroder le sol de cette
façon.
Le futur de Titan
"On
ne dort pas assez", ironise pour Libération
Athéna Coustenis, planétologue à l'Observatoire
de Paris-Meudon, et actuellement à temps plus-que-plein
au centre de contrôle de l'Agence spatiale européenne,
à Darmstadt (Allemagne). Il faut dire que si Cassini-Huygens
est en route depuis sept ans, pour certains scientifiques,
c'est une attente de 20 ans qui vient de prendre fin. Ca
vaut bien quelques nuits blanches...
Les données recueillies en
ont pour des semaines encore à être démêlées
et reconstituées. Et il y a Cassini qui fera sa part,
lui qui doit survoler Titan à 44 reprises au cours
des trois prochaines années...
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