Sommes-nous prêts? demandent les responsable
de la santé de plusieurs pays du monde. Et la réponse
est sans équivoque: Non. Pour deux raisons:
- Pas assez d'antiviraux en réserve dans les
principaux pays, en particulier les Etats-Unis; les
antiviraux pourraient freiner cette maladie le temps
de mettre au point un vaccin.
- Et pas assez de volonté politique pour garantir
la mise au point rapide d'un vaccin contre la grippe
aviaire.
Cette grippe, codée H5N1, pourrait-elle
vraiment se transformer en une épidémie chez
les humains, comme la grippe espagnole des années
1918-19? Il faut pour cela remplir trois conditions:
1) Il faut d'abord que le virus qui frappe
les volatiles (poulet, volaille, etc. et aujourd'hui les
oiseaux) puisse aussi se transmettre aux humains.
C'est chose faite, et depuis longtemps: sept décès
sont survenus à Hong Kong en 1997. Le virus a ensuite
resurgi en 2003: depuis, on a recensé 53 morts
au Vietnam, en Thaïlande et au Cambodge.
2) Il faut que le virus puisse se
transmettre d'humain à humain: depuis le 6
mai dernier, l'Organisation mondiale de la santé
a confirmé que les premiers cas vietnamiens soupçonnés
s'étaient bel et bien transmis le virus; et que
cette transmission était peut-être plus fréquente
qu'on ne le craignait. Autrement dit, les responsables
de la santé prennent pour acquis que d'autres cas
de transmission entre humains ont dû se produire,
qui ont échappé aux écrans radars.
3) Il faut enfin que le virus soit
suffisamment virulent (par exemple, qu'il puisse se
transmettre par un simple éternuement) pour se
répandre à grande échelle. A l'heure
actuelle, ce n'est pas le cas du H5N1. Reste qu'avec les
transports aériens actuels, pas mal plus nombreux
qu'en 1918, ce ne sont pas les opportunités qui
vont lui manquer pour muter.
La grippe
espagnole
avait tué 50 millions de personnes. Au cours du XXe
siècle, deux autres pandémies de grippes d'origine
aviaire (en 1957 et 1968) ont frappé, quoique beaucoup
moins violemment. Le scénario d'une épidémie
de grippe aviaire n'est donc pas un scénario d'Hollywood:
statistiquement, c'est notre tour.
La seule chose qu'on ignore, c'est s'il aura
la virulence de 1968 (750 000 morts) ou de 1918 (entre 20
et 40 millions de morts). Une épidémie américaine
de type "moyen", selon
le Centre de contrôle des maladies d'Atlanta:
207 000 morts aux Etats-Unis et trois quarts de millions
de personnes à l'hôpital, pour une facture
oscillant entre... 71 et 188 milliards de dollars!
"A moins que la communauté internationale
ne bouge significativement pour contrecarrer cette menace,
nous allons tous en payer le prix lourd d'ici quelques années",
écrit
la revue Nature dans l'éditorial de son
édition du 25 mai spécialement
consacrée à cette menace.
Il y a des années que la communauté
scientifique lance cette alerte, et les sceptiques
ont beau jeu de prétendre qu'elle crie au loup:
après tout, les services de santé ont
fait des bonds de géant depuis 1918. Faux optimisme,
réplique Nature: "bien que la science
et la médecine de la grippe aient progressé,
notre capacité à mettre sur pied une
réponse de santé publique efficace a
fait étonnamment peu de progrès". Et
c'est sans compter le facteur humain: "le potentiel
de panique est beaucoup plus grand, compte tenu de
l'impact de la télévision et d'Internet".
Par ailleurs, le fait que les scientifiques
lancent l'alerte alors que rien ne s'est encore produit
ne signifie pas qu'ils crient au loup: c'est simplement
le signe que nos méthodes de surveillance des
pandémies animales ont progressé depuis
1918. A cette époque, on ne les voyait pas
venir; aujourd'hui, oui.
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A
lire sur ce sujet:
Le
retour du retour du retour de la grippe du poulet
(16.8.2004)
La
grippe du 21e siècle: menace ou non? (9.2.2004)
L'incompétence
politique (2.2.2004)
La
grippe du poulet: grosse nouvelle, petit virus (5.1.1998)
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Que faudrait-il faire pour être mieux préparés?
1) D'abord, davantage de coordination
internationale. L'Organisation mondiale de la santé
a beau être le seul organisme dont on entend parler,
une importante partie du travail retombe sur les épaules
de l'Organisation des Nations Unies pour l'agriculture et
l'alimentation et de l'Organisation mondiale pour la santé
animale. Or, leurs efforts communs sont mal coordonnés,
sous-financés et minés
par des enjeux de souveraineté nationale: le
cas le plus patent est celui de la Chine, qui ne fournit
de l'information qu'avec de grandes réticences.
2) Ensuite, il faut suivre à la
trace les cas de grippes aviaires, afin de connaître,
en temps voulu, la composition génétique exacte
du coupable. Car pour mettre au point un vaccin, il faut
savoir contre qui on le met au point: toutes les variétés
de virus de grippe, des plus bénignes aux plus dangereuses,
subissent continuellement des mutations, de sorte qu'un
vaccin contre l'une serait inefficace contre l'autre. Or,
ce travail de suivi génétique n'existe pour
ainsi dire pas: il n'y a aucun financement international
à cette fin qui soit destiné aux pays d'Asie
du Sud-Est.
3) Enfin, il faudrait produire suffisamment
de médicaments antiviraux pour contrecarrer la
progression de la maladie, le temps que soit mis au point
un vaccin. Le Québec et la France font partie des
exemples à suivre, avec des doses capables de protéger
respectivement 20% et 25% de leurs populations. Les Etats-Unis
font figure de cancres, avec 1%, et le gouvernement se fait
régulièrement taper sur les doigts, aussi
bien par les autorités sanitaires que par le Vérificateur
général.
Mais ça, c'est parmi les pays riches:
en Asie, les services de santé de certains pays,
dont la Chine, n'ont ni les ressources humaines ni l'industrie
nécessaire pour déclencher une production
massive d'antibiotiques. Et les aides internationales sont
carrément insuffisantes. Or, ce sont ces pays qui
risquent de se retrouver en première ligne lorsque
la guerre se déclenchera...
Si la grippe aviaire met encore cinq ans avant
de se transformer en pandémie, et si les gouvernements
mettent de la pression, l'industrie pharmaceutique aura
assez de temps pour stimuler sa production de médicaments
et de vaccins. Mais il faut s'y mettre dès maintenant:
rien que la mise au point du premier vaccin, à lui
seul, nécessite au moins six mois.
Pascal Lapointe