Harry Houdini, qui est probablement le magicien le plus célèbre de tous les temps, a aussi été un sceptique éminent qui a énormément fait pour la promotion de la pensée critique. À tel point que quand, à la fin 1999, le CSICOP (Committee for the Scientific Investigation of Claims of the Paranormal) publiait sa liste des 10 plus grands sceptiques du XX ème siècle, on y trouvait : James Randi; Martin Gardner; Carl Sagan; Paul Kurtz; Ray Hyman; Philip J. Klass; Isaac Asimov; Bertrand Russell; Albert Einstein; et …Harry Houdini.

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Étonnant? Ce l’est moins quand on sait que Houdini a brillamment confronté tous ces médiums et spiritualistes qui attiraient en son temps une vaste audience et jouissaient d’une immense renommée. Ce faisant, le magicien a écrit une des plus fortes et, avouons-le, une des plus amusantes et des plus fascinantes pages de l’histoire du scepticisme.

Le moment est propice à rappeler quelques-uns de ses hauts faits d’arme puisque Houdini est mort il y a tout juste 80 ans, le 31 octobre 1926 et même d’un coup de poing au ventre reçu à Montréal!

Le mouvement spiritualiste était né au milieu du XIX è siècle, aux Etats-Unis, et sa popularité a été à son apogée durant les années 60 à 80. Elle commence à décliner à la fin du XIXème et au début du XXème siècles; mais le mouvement connaîtra une deuxième grande vogue durant et après la Première Guerre Mondiale.

On se l’explique aisément : cette guerre fait plus de huit millions de morts (et 6 millions d’invalides), ce terrible tribut de jeunes vies étant payé par des parents, des épouses, des fiancées et des enfants devenus orphelins. Pire : le guerre est suivie de la terrible pandémie de grippe aviaire (communément appelée «grippe espagnole»), qui fait un nombre extraordinairement élevé de victimes entre 1918 et 1919 — les estimations varient entre 20 et plus de 50 millions de morts. Le mouvement spiritualiste, qui offrait le réconfort de penser que ces morts vivaient en quelque sorte toujours, sur un «autre plan», qu’il était possible de communiquer avec eux et que lors de ces communications nos chers disparus venaient nous assurer que tout allait bien, ce mouvement-là apparaissait à beaucoup comme la promesse, tenue, d’une véritable consolation.

Houdini, qui a perdu sa mère dont il était fou en 1913, s’accroche un temps au fol espoir que des médiums vont lui permettre de la contacter. Mais le magicien connaît tous les trucs qui permettent de berner les pauvres personnes malheureuses et fragiles qui consultent les médiums.

Peu à peu, il va acquérir la conviction que le mouvement est frauduleux et entrer en guerre contre lui, mettant son art au service de la cause sceptique. Il expliquera: «Les magiciens sont formés pour faire de la magie et c’est pourquoi ils sont capables, pendant une séance, de détecter plus rapidement que les autres témoins des gestes trompeurs qui vous échappent si vous ne connaissez pas toutes les subtilités du détournement d’attention».

Bientôt, il n’hésite pas à se déguiser pour confronter incognito les médiums sur leur propre terrain. Des cornets flottent mystérieusement et semble-il tout seuls dans les airs? La lumière revenue, on découvrira que les mains du médium sont noircies par la suie dont Houdini avait subrepticement enduit l’instrument.

Houdini part donc en tournée de démystification et des témoignages permettent d’imaginer à quoi pouvait ressembler une soirée passée en sa compagnie.

Pour commencer, le magicien prononcera un petit discours, disant par exemple : «Nous rions volontiers de ces histoires invraisemblables de sorcières en train de s’envoler à califourchon sur des balais. Mais qu’est-ce qui pourrait être plus ridicule que de croire que les morts que nous avons aimés apparaissent sous la forme d’ectoplasme à travers les dents cariées d’un médium — ou d’une autre partie de son corps? Pourquoi donc, si ceux qui nous sont chers veulent communiquer avec nous, ont-ils recours à des tables qui s’envolent, à des coups frappés et ainsi de suite à tant de lettres par coup frappé? Nos morts sont-ils devenus des comptables? Il est contraire à la morale de dévoiler des mystères légitimes. Mais il est du devoir de tout citoyen de dévoiler les tricheries et les fraudes et parmi elles aucune n’est plus méprisable que celle de ces médiums véreux qui se servent du spiritualisme pour tirer avantage de la naïveté de leurs victimes.»

Il invitera ensuite les médiums locaux à monter sur scène et à produire, sur le champ, n’importe quel effet qu’il serait incapable de produire à son tour par des moyens tout à fait normaux. Il brandira peut-être à ce moment des bons au porteur d’une grande valeur qu’il s’engage à remettre à tout médium qui relèverait avec succès ce défi.

Puis il entreprendra de raconter de croustillantes histoires sur les médiums locaux. C’est que Houdini avait pris le soin d’envoyer en éclaireurs, dans la ville où il se produit, certains de ses collaborateurs. Ceux-ci ont visité les médiums et ont obtenu d’eux des contacts avec des enfants qu’ils n’ont jamais eus, des parents qui ne sont pas encore morts et ainsi de suite. L’un de ces collaborateurs fait ces visites sous le nom de Révérend F. Raud! «Hier après-midi, dira Houdini, pour deux dollars, le médium X a mis ma collaboratrice en contact avec son époux et son enfant décédés. Ma collaboratrice n’a jamais été mariée et n’a pas d’enfant!»

Houdini invitera ensuite quelques spectateurs à monter sur scène. Afin de recréer les conditions d’obscurité dans lesquelles se déroulent les séances, il leur fera bander les yeux. À compter de ce moment, les spectateurs dans la salle auront droit à une inoubliable performance.

Les spectateurs aux yeux bandés et le magicien prennent place autour d’une table. Deux spectateurs contrôlent les mains et les pieds de Houdini. Pourtant le magicien sort un pied de sa chaussure et, ses chaussettes ayant été découpées, il s’empare avec ses orteils d’une clochette qu’il fait sonner. Les spectateurs, qui voient tout, rient de bon coeur. Puis il parvient à libérer une de ses mains et soulève la table. Des instruments de musique que Houdini manipule se mettent à flotter autour des participants. Nouveaux éclats de rire. C’est ensuite avec sa bouche que Houdini s’empare d’un cornet et en joue.

On enlève provisoirement son bandeau à un des participants, qui rédige en cachette une question sur une ardoise, qu’il recouvre d’une deuxième. Houdini les tient sous la table. Des bruits d’écriture sont aussitôt entendus. Houdini ressort l’ardoise : les participants y lisent, mystifiés, la réponse à la question posée par l’un d’entre eux! Les spectateurs dans la salle ont pour leur part pu voir Houdini gratter la table pour simuler le bruissement de la craie; substituer une ardoise à celle du spectateur, qu’il a donnée à un complice qui a rédigé la réponse avant de la lui rendre pour une dernière substitution.

Pour finir, Houdini démontrera peut-être comment on peut, avec de la paraffine, fabriquer ces mains d’esprits qui se matérialisent durant les séances et comment on peut s’y prendre pour les faire apparaître.

La mort de Houdini

À l’automne 1926, Houdini est à Montréal. Le 8 octobre, il y a donné un spectacle au Princess Theatre. Le lendemain, il a présenté à l’Université McGill une conférence sur son travail de démystificateur. Le 22, Joselyn Gordon Whitehead, un étudiant de l’université McGill, lui rend visite dans sa loge au Princess Theatre.

Houdini pouvait et l’avait répété durant sa conférence, recevoir sur le ventre des coups de poing de n’importe qui — à condition de se préparer à les recevoir. Whitehead lui demande si cela est vrai. Houdini, qui est en train de lire son courrier répond distraitement que oui. L’étudiant s’élance et frappe quelques coups au ventre de Houdini, qui n’a pas eu le temps de se préparer. Le magicien ressent une grande douleur, qu’il pense musculaire. Il souffre en fait d’un rupture de l’appendice, qu’il tardera à soigner et qui dégénérera. C’est elle qui l’emportera.

Le mouvement sceptique doit énormément à Houdini. Mais il est bien triste de constater qu’il trouverait aujourd’hui encore de quoi occuper tout son temps, s’il pouvait reprendre son travail là où il l’avait laissé. Les spiritualistes contemporains ont certes changé de nom et ils s’appellent désormais des «channelers» (ce qu’on peut rendre par : canaux de communication — avec les morts, bien entendu) ou des «clairaudients» : mais ils font essentiellement les mêmes promesses à leurs innocentes et fragiles victimes qu’ils bernent d’aussi affligeante manière. Fort heureusement, d’autres, comme le magicien Randi, ont repris le flambeau.

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