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Un petit vent de panique souffle sur l'Internet après la parution d'une étude qui remet en doute les bénéfices de l'allaitement. Il est donc temps de prendre une grande respiration, car nous sommes tout simplement en présence de ce que j'appellerais le syndrome du chapeau d'aluminium.

L'expression vient en fait d'une très bonne bande dessinée de Jorge Cham, auteur de PhD Comics, qui illustre le cycle d'une nouvelle scientifique. Tout commence par un résultat de recherche: «A est corrélé avec B (p=0.56), si C, lorsqu'on assume les conditions D et E.» Le département des relations publiques de l'université compose alors un communiqué de presse: «Les scientifiques ont trouvé un lien potentiel entre A et B (sous certaines conditions)». Lorsque la nouvelle est reprise par les agences de presse, on peut lire «A cause B, disent les scientifiques». Sur une chaîne d'information continue, cela devient «A cause B en tout temps.» Aux nouvelles locales, le titre est plus sensationnaliste: «Ce que vous ne savez pas à propos de A pourrait vous tuer.» Finalement, au prochain repas familial, vous rencontrez votre grand-mère et elle vous dit «Je porte ce chapeau d'aluminium pour me protéger de A.»

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C'est un peu ce qui s'est passé lors de la parution de l'étude réalisée par les chercheurs de l'Ohio.

L'étude

Nos résultats suggèrent que les estimations typiques de l'impact de l'allaitement sur le bien-être de l'enfant pourraient être surestimées.

Les chercheurs ont analysé trois groupes: 8237 enfants provenant de différentes familles, 7319 frères et sœurs qui ont été nourris de la même façon et 1773 frères et soeurs dont au moins un a été allaité et au moins un a été nourri au biberon. Ils ont ensuite évalué plusieurs critères lorsque les petits étaient âgés de 4 à 14 ans: l'indice de masse corporelle, l'obésité, l'asthme, l'hyperactivité, l'attachement, le comportement, le vocabulaire, la lecture, les aptitudes en mathématiques, l'intelligence et la réussite académique. L'analyse des enfants de familles différentes donne des résultats très similaires à ceux d'autres études : les enfants qui ont été allaités réussissent mieux en général que ceux qui ont été nourris au biberon. La seule exception: l'asthme. Les enfants allaités semblent avoir un risque plus élevé de souffrir de cette maladie. L'intérêt de l'étude est toutefois ailleurs. En effet, les résultats diffèrent lorsque les chercheurs comparent les frères et sœurs qui n'ont pas été nourris de la même façon. La différence entre les petits allaités et ceux nourris au biberon s'atténue alors au point de n'être plus significative d'un point de vue statistique. Les chercheurs concluent donc que les bénéfices de l'allaitement à long terme seraient plutôt dus à des facteurs propres à chaque famille comme le statut socio-économique.

Le communiqué de presse de l'Ohio State University

Les bénéfices de l'allaitement semblent être surestimés, d'après une étude réalisée sur des frères et sœurs. Les avantages observés par les femmes qui choisissent d'allaiter seraient probablement des résultats biaisés d'études précédentes.

Dans son communiqué de presse, l'équipe des relations publiques de l'Ohio State University reprend les grandes lignes de l'étude, mais réalise aussi une entrevue avec Cynthia Colen, la chercheuse principale. Selon celle-ci, il faut être réaliste à propos de ce que l'allaitement fait ou ne fait pas. Elle déplore que les études faites jusqu'à maintenant ne contrôlaient pas pour la race, l'âge des parents, le revenu familial, l'emploi de la mère. Ces facteurs importent d'autant plus que plusieurs études ont établi que les femmes de milieux aisés allaitent plus longtemps. Elle croit également que son étude a le mérite d'étudier l'impact de l'allaitement chez les enfants plus âgés alors que les études précédentes se limitent plutôt aux bébés et aux tout-petits. Elle admet cependant que l'allaitement est bénéfique d'un point de vue nutritif et immunitaire, mais que pour améliorer le bien-être des mères et des enfants, il faut se concentrer sur des choses comme les congés parentaux et la conciliation travail-famille.

Les médias ( Mail Online )

Le lait maternel n'est pas meilleur pour un bébé que le lait en bouteille et il augmente le risque d'asthme, clame une experte.

Plusieurs éléments du communiqué de presse se retrouvent dans l'article de Mail Online. Cependant, les auteurs vont un peu plus loin. D'après eux, la scientifique mentionne que « =Les bénéfices de l'allaitement sont exagérés» et que «les bébés nourris au biberon ne réussissent pas moins bien.» L'étude démontrerait selon eux que les bébés au biberon ne sont pas plus obèses ou ne réussissent pas moins bien à l'école. Ces observations permettraient aux femmes qui ne peuvent pas allaiter de ne pas se sentir stigmatisées. Toujours selon Mail Online, la chercheuse clame que les bébés allaités sont plus à risque de développer de l'asthme. La conclusion de ces recherches serait donc que les bébés allaités ont de meilleurs résultats probablement en raison d'autres facteurs comme le statut socio-économique de leur famille.

Bref, peu importe la qualité et la portée de cette étude, l'analyse de sa couverture médiatique rappelle l'importance de toujours garder un esprit critique. La médiatisation d'une nouvelle recherche ressemble un peu au téléphone arabe parfois. Il ne faut donc pas hésiter à retourner aux sources, à consulter des experts, à s'interroger sur la façon dont l'expérience a été effectuée. Sinon, nous risquons de tous porter un jour... un chapeau d'aluminium!

Ce billet a d'abord été publié sur le site Maman Éprouvette.

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