Il n'est donc pas étonnant que les afro-américains s'approprient tous les moyens disponibles pour renouer avec leurs racines. Et c'est ici que la génétique entre en jeu. Les progrès fulgurants que cette discipline connait depuis que tests d'ADN sont devenus peu coûteux permettent de connaître l'origine ethnique et la provenance biogéographique des individus. Des bases de données qui avaient d'abord été compilé à d'autres fins servent maintenant à déterminer la lignée de 160 groupes ethniques provenant de plus de 30 pays. Des vedettes comme Oprah Winfrey et Whoopi Goldberg et même des groupes entiers, dans les églises noires, se sont fait tester pour connaître leur origines. Un des effets de cette pratique est d'ailleurs le renouveau du mouvement tribal dans ce retour aux sources, et tout ce que cela comporte au niveau du choix des noms, des vêtements, etc.
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Mais ce n'est pas seulement chez les noirs américains que cet engouement se fait sentir. Nombreux sont ceux qui se prévalent de ces nouveaux outils généalogiques. Ainsi, plusieurs Américains utilisent leurs gènes amérindiens pour réclamer des avantages fiscaux, ou en raison de gènes africains ou asiatiques, désirent bénéficier de la discrimination positive pour l'accès aux études ou à l'emploi. Ainsi, le New York Times rapportait le cas d’une jeune étudiante qui avait inscrit la mention « asiatique » dans son formulaire d’inscription universitaire, bien que visiblement d'apparence caucasienne, et même si elle avouait candidement qu'elle ne se connaissait aucun ancêtre asiatique. Toutefois, suite à un test génétique, ses origines ethniques avaient montré que ses ancêtres provenaient à 98 % d’Europe et à 2 % d’Asie de l’Est. L’étudiante a été admise et a même reçu une bourse ! A-t-elle bénéficié d’un programme de discrimination positive, un programme d'aide qui n'a certainement pas été conçu dans de telles fins ?
L'appartenance ethnique peut donc être aussi affaire de gros sous. Prenons seulement l'exemple des Amérindiens des États-Unis. Puisque certaines tribus américaines versent à leurs membres une partie des profits des casinos qui se sont ouverts, depuis quelques dizaines d'années, dans les réserves, l'enjeu est grand pour les conseils de tribus d'identifier les membres qui ont réellement des arrière-grands-parents amérindiens. Et de plus en plus de membres potentiels de ces tribus font appel aux techniques de dépistage d'ADN afin de prouver leur lignée. Mais le fait d’avoir des gènes amérindiens ne permet pas toujours d’identifier une tribu particulière. On sait qu'ici, au Canada, une lignée autochtone permet des exemptions fiscales.
Plusieurs généticiens se plaisent à dire que « la génétique réfute l'idée de race ». Mais l'utilisation des marqueurs de haplogroupes pour identifier les populations souches d'où nous sommes issus rétablissent les vieilles catégories raciales. La généalogie génétique est donc impliquée dans la résurgence actuelle d’un langage qui « racialise » les différences humaines, et dont les dérives technoscientifiques peuvent associer ethnicité, race et génétique. Dans le débat culture versus nature, l'utilisation de ces critères génétiques pour définir notre identité minimise les rapports qui nous unissent à notre famille et à la société qui nous entoure. Cette « biologisation » de notre identité est-il un signe du siècle à venir, où le dépistage et l'ingénierie génétiques constitueront les pierres d'achoppement d'une civilisation basée, non pas sur une culture commune, mais sur des gènes partagés ?
Au Québec, nous n'éprouvons pas encore le besoin de faire appel à la généalogie génétique. En effet, les archives de la Nouvelle-France sont très complètes et il est tout de même relativement aisé à des amateurs généalogistes d'identifier tous les membres de leur lignée familiale jusqu'au premier arrivant. Ce qui n'empêche pas certains d'avoir des surprises lors d'un test de filiation génétique. Ainsi, certains porteurs de noms de familles-souches ont découverts qu'ils ne possédaient aucun gène de cette famille. La généalogie génétique nous apprendra sans doute dans le futur à moins sous-estimer l'importance des adoptions et des fausses paternités !
(Le taux de fausse paternité aux États-Unis est estimé entre 2 et 5 %. Ce n'est certes pas un chiffre important mais au bout de 10 générations, la probabilité de non-filiation d'une lignée familiale peut atteindre 50 % ! On peut imaginer les coupes à blanc dans nos arbres généalogiques si le taux de fausse paternité devait se révéler plus grand, comme le suggère déjà certaines études récentes effectués au moyen de la généalogie génétique !)
Mais pour en revenir au Québec, un projet de généalogie génétique permettra bientôt aux descendants des colons français d'en savoir plus sur leurs origines. Le Projet ADN d'héritage français existe depuis 3 ans et compte déjà plusieurs centaines d'adhérents : surtout des américains d'origine canadienne-française, acadienne, cajun, métis, mais aussi d'autres participants qui se réclament de souche française, même lointaine. Grâce à cette initiative, peut-être découvrirons-nous que nos ancêtres de Nouvelle-France ont eu un impact bien plus important que l'on pense sur tout le continent américain.
Comme le disait l'autre, « la patrie, c'est le sang des autres ».