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Selon les plus récentes données, les pays riches auraient finalement réalisé leur promesse, vieille de plus d’une décennie, d’une aide de 100 milliards$ pour l’adaptation des pays plus pauvres aux changements climatiques. Mais la confiance a été érodée dans le processus. 

Ce reportage est d’abord paru dans le magazine Grist.
Il est republié ici dans le cadre du partenariat entre l'Agence Science-Presse et 
Covering Climate Now,
une collaboration internationale de plus de 500 médias visant à renforcer la couverture journalistique du climat. 

L’échec du sommet des Nations unies sur le climat de 2009, à Copenhague, continue d'avoir un impact sur les finances internationales relatives au climat. Les pays riches avaient refusé d’appuyer un engagement ferme à limiter le réchauffement climatique, en dépit des objections des pays plus pauvres qui en subissaient déjà les effets. 

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En guise de prix de consolation, celle qui était alors Secrétaire d’État des États-Unis, Hillary Clinton, avait fait une vague promesse: créer une aide pour la décarbonisation et la réponse aux désastres naturels. Elle avait proposé que les pays plus riches envoient 100 milliards$ chaque année, d’ici 2020. Ce chiffre était en-dessous des vrais besoins des pays plus pauvres, mais il avait été adopté par les négociateurs et aujourd’hui, représente encore le plus gros engagement financier pour le climat. 

Des données préliminaires publiées ce mois-ci par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) indiquent que cet objectif de 100 milliards$ pourrait finalement avoir été atteint en 2022. En 2021, les pays riches avaient versé environ 90 milliards$. 

Les États-Unis, en particulier, tirent de l’arrière. S’il s’agissait de payer une part équivalente à ses émissions historiques de carbone, le pays serait responsable de près de la moitié de ces 100 milliards$. Il n’en a fourni qu’une fraction. 

La majorité de ces fonds provient toujours de prêts aux pays en voie de développement. Les pays riches ont également dépensé beaucoup plus d’argent en projets d’atténuation (mitigation) comme des « fermes solaires » que sur des projets d’adaptation —par exemple, se protéger contre les inondations ou des famines— laissant les pays pauvres plus vulnérables aux désastres climatiques, alors même qu’ils s’engagent dans des réductions de leurs propres émissions de gaz à effet de serre (GES). Les fonds pour l’adaptation ont diminué de 14% en 2021 par rapport à 2020, ne représentant qu’un quart des 90 milliards$, selon le rapport de l’OCDE. Des critiques disent aussi qu’une partie de l’argent a en fait financé des projets qui n’ont rien à voir avec les changements climatiques. 

« Nous sommes très déçus de l’ambition des pays plus riches », déclare Isatou Camara, chargée de développement au ministère des Finances de Gambie, et négociatrice climatique pour une coalition des pays parmi les plus pauvres. « Ce que nous avions entendu d’eux, c’était qu’ils n’avaient pas les ressources pour remplir leurs engagements, mais c’est vraiment un manque de volonté politique. » 

Même avec cette indication comme quoi l’objectif aurait été atteint en 2022 —avec deux ans de retard— les pays riches ont du chemin à faire pour reconstruire la confiance. 

« Montrer que nous avons atteint cet objectif [de 100 milliards$], c’est un important jalon, mais c’est juste ça: un jalon », a déclaré le ministre canadien Steven Guilbeault, lors d’une conférence de presse. « Ça ne règle pas tous nos problèmes. La conversation doit changer. Nous avons mobilisé 100 milliards$. Comment mobiliser 1000 milliards$? »

Vers une nouvelle promesse de financement climatique

Les négociateurs tentent à présent de mettre sur pied un nouvel engagement de financement, plus ambitieux, qui enverrait plus d’argent et garantirait un soutien à des subventions pour des projets d’adaptation climatique, plutôt que des prêts. Mais le déficit de confiance rend plus difficile que jamais d’en arriver à un consensus. La date limite pour un accord est l’an prochain, et l’avancement des négociations pendant la COP28, qui s’ouvre le 30 novembre pour deux semaines aux Émirats arabes unis, aura des implications sur les efforts que pourront entreprendre les pays en voie de développement.

Selon l’OCDE, qui réalise le suivi le plus complet des finances climatiques internationales, en 2021, les pays riches avaient versé environ 20 milliards$ en subventions et près de 50 milliards$ en prêts. Les plus gros récipiendaires sont les pays à revenus moyens comme l’Inde, le Bangladesh et la Turquie, où la consommation de carburants fossiles est en hausse. Une plus petite partie de l’argent est allée à des pays d’Afrique subsaharienne et à les États insulaires du Pacifique, qui émettent encore moins de GES mais subissent des dommages se mesurant en milliards de dollars chaque année. 

Ce déséquilibre vient du caractère vague de l’entente originale de Copenhague, en 2009. Les termes du traité parlaient d’un financement qui serait « nouveau et additionnel », mais ce que cela signifiait n’était pas clair. Il n’y avait pas non plus de mécanismes pour suivre à la trace qui avait donné quoi. 

Qui plus est, il y avait peu de lignes directrices sur la façon dont les pays devraient envoyer cet argent, ou les types de projets qu’ils pourraient financer. Un reportage d’enquête de Reuters plus tôt cette année a découvert que des sommes faisant partie de ces 100 milliards$ ont contribué à ouvrir une nouvelle centrale au charbon au Bangladesh; d’autres ont financé l’expansion d’une chaîne de glaces italiennes. 

« Il y a beaucoup de méfiance », explique Pieter Pauw, expert en finances climatiques à l’Institut allemand du développement durable, un groupe de réflexion en développement international. « J’ai entendu qu’un terrain de basketball aux Philippines avait été comptabilisé comme de la finance climatique ».

Des prêts plutôt que des subventions

Mais le problème plus large pour les pays en voie de développement est que le gros de cette aide a été  sous la forme de prêts avec taux d’intérêt —quoique souvent avec un taux plus bas que le marché privé. Le Japon, par exemple, a été un des plus gros contributeurs en finance climatique, dépassant de loin les États-Unis, mais presque tout a été en prêts plutôt qu’en subventions. 

Les pays plus pauvres n’ont pas le choix de prendre ces prêts s’ils veulent investir dans des projets cruciaux pour se protéger contre les désastres climatiques, mais plusieurs croulent déjà sous les dettes et doivent souvent contenir leurs dépenses domestiques pour payer leurs intérêts. La première ministre de la Barbade, Mia Mottley, cheffe de file des pays les plus vulnérables, a fait de la question des prêts le coeur de ses demandes aux récents pourparlers des Nations unies, alléguant que les pays riches devraient fournir des fonds pour le climat à travers des subventions sans conditions. 

Son attaché climatique, Avinash Persaud, ajoute que les coûts climatiques de la Barbade —une île des Antilles— représentent environ 100% de son produit national brut. 

La dépendance aux prêts a également introduit un biais vers des projets de décarbonisation plutôt que d’adaptation. Lorsqu’un pays riche prête de l’argent pour une ferme solaire ou un projet de captage du carbone, il peut s’attendre à ce que le projet génère des revenus, qui aideront le pays à rembourser son prêt avec les intérêts. Des compagnies privées et des banques sont également plus susceptibles de soutenir des projets qui offriront un retour sur l’investissement. En comparaison, même si une barrière anti-inondations ou un réservoir —qui entrent dans la catégorie des projets d’adaptation— peuvent aider à éviter des dommages économiques, ceux-ci ne se transposent pas en un retour sur l’investissement. 

« Si vous regardez les désastres liés au climat qu’ont vécu nos pays, ils sont à la base causés par les ressources inadéquates dont nous disposons pour répondre aux changements climatiques », poursuit Isatou Camara, de la Gambie. « Nous avons répété encore et encore que l’adaptation est la première priorité, et nous avons fini par croire que l’adaptation n’est pas profitable. »

Hausser la cible ne suffira pas

Indépendamment du fait que les pays ont finalement atteint leur objectif de 2009, cet engagement de 100 milliards$ approche de sa fin de vie. Depuis 2018, les négociateurs internationaux travaillent à une nouvelle entente, qui enverrait encore plus d’argent vers la décarbonisation et vers la réponse aux désastres naturels. 

Cette cible révisée, que les négociateurs espèrent finaliser en vue du sommet des Nations unies de l’an prochain, se traduira probablement par un financement annuel plus élevé. Au cours des années écoulées depuis Copenhague, les scientifiques sont devenus capables de mieux estimer les coûts futurs des pertes reliées au climat, et la plupart des experts croient maintenant que ce financement annuel devra être mesuré en billions (milliers de milliards) plutôt qu’en milliards de dollars. 

Mais juste hausser la cible de ce « nouvel objectif chiffré collectif » (la terminologie des Nations unies) pourrait ne pas suffire pour garantir que les fonds se rendent là où on en a le plus besoin. Les pays en voie de développement et les militants en appellent à un engagement plus structuré qu’à Copenhague en 2009. Il s’agirait par exemple d’obliger les pays riches à verser une partie de leur financement en subventions plutôt qu’en prêts, et en projets d’adaptation.

« Nous alléguons qu’il devrait y avoir un sous-objectif sur l’adaptation, qui serait fait de subventions seulement », explique Jan Kowalzig, un chercheur en finances climatiques à l’emploi d’Oxfam. « Mais il est très peu probable que les pays développés acceptent ça. »

Les pays développés disent de leur côté qu’ils ne devraient pas être les seuls à envoyer de l’argent. L’entente de Copenhague s’appliquait uniquement aux pays les plus riches, ce qui n’incluait pas à l’époque la Chine et l’Inde, pas plus que des États pétroliers comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. 

Enfin, ce sont exactement les mêmes questions qui tournent autour des pourparlers qui se déroulent en parallèle autour d’un fonds sur les « pertes et préjudices » (loss and damage), pour compenser les pays des pertes encourues à cause des changements climatiques —c'était un important point à l’ordre du jour de la COP27, et ce le sera pendant la COP28. Ce fonds, que les négociateurs avaient accepté de créer l’an dernier au terme de la conférence en Égypte, offrirait de l’aide pour compenser et reconstruire, plutôt que pour se préparer à de futurs désastres ou réduire les GES.

Là aussi, les pays en voie de développement souhaiteraient des engagements fermes des pays riches et ces derniers, en retour, défendent l’idée de prêts plutôt que de subventions. Or, moins des pays reçoivent de l’argent pour de l’adaptation à de futurs désastres, plus ils auront besoin d’argent pour compenser les pertes subies après ces désastres.

Quoi qu’il arrive à la COP28, négociateurs et observateurs externes estiment que les pays riches arrivent à la rencontre avec moins de pouvoir de négociation que jamais. Selon Pieter Pauw, leur échec à respecter leurs engagements de Copenhague les obligera à payer d’énormes quantités d’argent dans les années à venir, à mesure que les impacts climatiques s’aggraveront.

 

Photo: Table ronde des ministres à la COP27, le 14 novembre 2022 / CCNUCC / Flickr

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