amygoodman.jpg
J’ai rencontré une boule d’énergie qui carbure à l’indignation.

Amy Goodman est l’animatrice d’une émission de radio américaine campée à gauche, Democracy Now! , diffusée du lundi au vendredi dans plus de 950 stations de radio (et de télé), communautaires, étudiantes, satellites ou du réseau public NPR. Pareille diffusion constitue apparemment un record pour ce type d’émission qu’on qualifierait, au Québec, de « communautaire ». Se sont ajoutés à cela depuis 15 ans qu’elle existe, plusieurs prix de journalisme pour sa défense infatigable des droits humains et d’un monde meilleur.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Rien de sorcier pourtant : ce qu’elle fait, c’est donner la parole à des gens qui ont peu de chances d’être entendus. « C’est notre travail, comme journaliste, d’aller là où est le silence », déclarait-elle lors d’une conférence donnée à Burlington, Vermont, dimanche dernier.

« Nous avons besoin d’un média qui est le 4e pouvoir, pas qui est pour le pouvoir ».

Sur ce plan, nous, journalistes scientifiques, on l’a facile. Les scientifiques sont par définition peu entendus, de sorte qu’il suffit d'un rien pour faire entendre de nouvelles voix. Et ce n’est pas un domaine où on court de grands dangers : je n’ai jamais entendu parler d’un journaliste scientifique qui se serait retrouvé avec un fusil sur la tempe parce qu’un chercheur l’aurait trouvé trop critique...

N’empêche que d’écouter Amy Goodman m’a rappelé combien on aurait besoin de plusieurs Amy Goodman, dans l’univers de l’information, y compris scientifique. Spécialement en cette époque où tout le monde et sa mère peuvent se transformer en média.

Évidemment, je ne prétend pas que des blogueurs ne sont pas capables, eux aussi, d’interviewer des gens méconnus et d’aller chercher une information originale. Mais même s’ils avaient l’énergie d’une Amy Goodman, les blogueurs ne pourraient jamais produire une émission quotidienne, plus une chronique pour les journaux, plus des conférences comme celle de dimanche... sans être payés.

Je l’ai déjà écrit et je le répéterai sans doute plusieurs fois encore : ceux qui professent que le journalisme n’a plus sa raison d’être à l’heure où tout le monde peut être journaliste, devront tôt ou tard cesser de contourner la question qui tue, qui va payer?

Depuis quelques décennies déjà, la précarité croissante de ceux qui exercent ce métier contribue à marginaliser une information fouillée, diversifiée et de qualité : pas étonnant quand on sait que, dans plusieurs journaux et magazines, les tarifs payés aux pigistes sont les mêmes qu’il y a 40 ans! Et nous nous dirigeons avec insouciance vers un monde où une bonne partie de l’information pourrait n’être produite que par de sympathiques bénévoles, changeant au gré du vent.

Le « modèle économique » de Democracy Now, c’est celui, à l’Américaine, des dons individuels, à l’émission ou à la radio, et des fondations charitables. Mais ça suppose aussi que Democracy Now soit un organisme à but non lucratif (comme la plupart des quelque 950 radios et télés mentionnées plus haut, dont Pacifica, son premier diffuseur).

Or, le sans but lucratif, je le rappelle, c’est le modèle de plusieurs créations récentes en journalisme scientifique : Yale Environment 360, Science Progress, Climate Central, ou, plus largement, Pro Publica, magazine voué au journalisme d’enquête. Très peu de médias en quête de profits font de l’enquête, et il est difficile d’en imaginer un seul qui, comme Pro Publica, aurait consacré deux ans au gaz de schiste.

Mais sans but lucratif ne veut pas dire bénévole : avec ces sous, ils paient des journalistes. Soit exactement l’inverse du modèle du Huffington Post : son succès populaire et financier s’appuie sur des légions de collaborateurs bénévoles —et ils en sont fiers.

Lorsqu’elle est arrivée à Burlington dimanche, Amy Goodman, dont l’émission est produite à New York, était passée par la Georgie, pour y assister aux funérailles de Troy Davis, l’homme exécuté le 21 septembre. La semaine précédente, Democracy Now avait interviewé un avocat du groupe Amazon Watch sur un jugement d’un tribunal condamnant la compagnie Chevron à payer 18 milliards$ pour pollution de la forêt amazonienne. Sur le climat, elle a aussi donné la parole à des journalistes d’enquête mettant à jour les accointances entre les géants du pétrole et les candidats républicains, et même à des politiciens qui —il y en a— s’indignent des positions de leurs propres collègues.

Rien de spectaculaire en apparence : ce ne sont pas là des Anderson Cooper ou des héros du cinéma mettant leur vie en danger. Ces voix ne sont pas si difficiles à aller chercher. Mais elles percent rarement le « mur du son » et «c’est la meilleure raison que je connais pour porter nos crayons, nos micros et nos caméras, dans nos communautés et dans le reste du monde ».

Je donne