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« Horizon 2050. Des centaines d’imprimantes 3D s’affairent à produire des cœurs, des reins, des poumons, le tout orchestré par des ordinateurs. Leur matière première ? Les cellules souches cultivées par milliards dans des laboratoires aux quatre coins de la planète. Pure science-fiction direz-vous, pourtant c’est ce que fait déjà miroiter la technologie des imprimantes 3D. Nous imprimons déjà des pièces de voitures, des armes, et toutes sortes d’objets, alors pourquoi s’arrêter là ? »

Voilà le type de discours qui tombe sous la loupe des sociologues Céline Lafontaine et Elisabeth Abergel, respectivement professeures à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec À Montréal, dans le cadre de leurs recherches sur la bio-impression 3D. Elles sont présentement en train de cadrer leur étude sur les enjeux sociaux, culturels et éthiques de cette technologie. « La possibilité d’imprimer des tissus vivants sur demande à des fins médicales ou alimentaires soulève des enjeux sociaux importants qui sont jusqu’à aujourd’hui très peu explorés », souligne Elisabeth Abergel.

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Les discours des chercheurs, des institutions scientifiques et des médias seront un important volet de l’étude. Ensuite, il s’agira d’observer comment travaillent les chercheurs et de comprendre de quelle manière ils perçoivent leur travail.

Qu’est-ce que la bio-impression 3D ?

Suivant des modèles inspirés des différents tissus de notre corps, l’imprimante dépose des microgouttelettes contenant des cellules souches ainsi qu’un milieu nutritif adéquat. Puis, les cellules se multiplient et s’auto-organisent pour former des tissus. C’est ce que l’on appelle l’impression au jet d’encre ; il existe d’autres types d’impression plus rapides, mais souvent plus coûteux. La bio-impression permet ainsi de reconstituer des tissus cellulaires en superposant des biomatériaux couche par couche. Cette technologie est déjà à l’œuvre, et on trouve dans la littérature des exemples de reconstitution de peau, de muscles, de cartilage et d’os.

Pour l’instant, les tissus « imprimés » sont testés par quelques laboratoires publics et entreprises pharmaceutiques, mais ils ont une durée de vie très limitée (de l’ordre de quelques semaines). La livraison d’organes pour des greffes sur patients est encore loin. En revanche, ces tissus pourraient à plus brève échéance être utilisés en recherche pharmaceutique et cosmétique pour limiter les tests sur les animaux.

Que fait la sociologie dans tout ça ?

L’une des questions posées par les deux sociologues est celle du statut des produits biologiques imprimés. D’ailleurs, plusieurs juristes travaillent déjà sur les droits d’auteurs concernant ces tissus machinés. À qui appartiendront les cellules, une fois prélevées et isolées du corps ? Des brevets pourront-ils être déposés sur ces « bio-objets » ? « Je m’intéresse particulièrement aux logiques de marchandisation et d’utilisation du corps humain comme nouvelle matière première de la médecine », précise Céline Lafontaine. Elle s’attarda notamment à la provenance et au parcours qu’effectueront les cellules souches, du cordon à la banque de tissus.

La deuxième partie de ce projet concernera les enjeux de la bio-impression à partir de cellules bovines pour produire de la viande in vitro. « Je m’intéresse à ces questions parce qu’elles sont présentées comme étant des solutions aux ravages causés par l’élevage intensif des animaux et par l’industrialisation des systèmes agroalimentaires », explique Elisabeth Abergel. « On peut alors se demander comment l’industrie de la viande réagira à l’avènement de cette viande de laboratoire et les effets que cela pourrait avoir sur le système agroalimentaire ».

Pour Céline Lafontaine, la bio-impression en dit long sur nos sociétés, nos besoins, nos fantasmes : « Le plus frappant, c’est ce désir de maîtriser le vivant, et d’en faire une ressource. De fait, la bio-impression s’inscrit dans le cadre plus large de la bioéconomie qui conçoit les composantes biologiques (gènes, cellules, organes) comme une ressource renouvelable permettant de poursuivre la croissance économique ».

« Même si ça peut sembler abstrait pour les citoyens, les promesses de la bio-impression ont un impact sur les investissements économiques d’aujourd’hui. C’est vraiment important de réfléchir à ces enjeux, car ils définissent les orientations de nos sociétés », conclut-elle.

À propos de l’auteure

Nommée aux Grands Prix du Journalisme Indépendant pour la catégorie de la relève, Lou Sauvajon est une jeune journaliste scientifique fascinée par la biologie, l’agriculture et l’éthique des sciences. Elle affectionne tout particulièrement la radio et les podcasts audio. À titre bénévole, elle a rejoint l’équipe de l’émission L’œuf ou la poule ? et participe également à la création de podcasts scientifiques pour Québec Science.

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