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« Martina Navratilova demande qu'on laisse les moutons vivre leur homosexualité !» Un titre pareil (ou apparenté) ne pouvait manquer de faire le tour médiatique de la planète : et c'est bien ce qui est arrivé au cours des deux dernières semaines.

Dans de très nombreux articles parus dans la presse, on apprenait ainsi que la grande et célèbre championne de tennis, qui n'a jamais caché son homosexualité, montait aux barricades pour protester contre des recherches menées dans deux universités américaines sur l'homosexualité des moutons. Toute l'affaire semble avoir pris son véritable envol médiatique par un article paru dans The Sunday Times , de Grande Bretagne, le 31 décembre 2006 et sous le titre, ça ne s'invente pas : Science told: hands off gay sheep .

L'article est en effet effrayant. On y évoque des crânes d'animaux qu'on ouvre avant de fixer des capteurs électroniques sur leurs cerveaux, dans le but de déterminer les mécanismes qui font que certains béliers préfèrent les mâles. En injectant des hormones dans leurs cerveaux, on serait parvenu, avec un certain degré de succès, à altérer les préférences sexuelles de ces sujets et à amener des animaux homosexuels à être attirés par des femelles. Vous l'avez deviné : la calamité, assure l'article, est que ces travaux pourraient bien paver la voie à des expérimentations qui éradiqueraient l'homosexualité chez les êtres humains. On comprend dès lors parfaitement l'intervention de madame Navratilova. Il y a cependant un hic et même plusieurs, sur lesquels, parmi d'autres, Ben Goldacre, qui écrit dans The Guardian, de Londres, a attiré l'attention.

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Dans cet excellent texte, il démonte une à un les biais, omissions et mensonges propagés par cette histoire.En fait, les travaux en question, menés notamment par Charles Roselli portent bien sur l'homosexualité chez le mouton, un phénomène paraît-il bien connu de tous les éleveurs et dont on peut penser que l'éradication présente un possible intérêt économique. C'est un domaine de recherche qui semble passionnant et, comme tout ce qui touche à bien des secteurs de pointe de la biologie, en progression ultra-rapide. Roselli travaille sur le sujet depuis des années et a déjà publié plusieurs articles (voir par exemple : ce texte . Mais le fait est que ce que lui et son équipe ont fait n'a à peu près rien à voir avec ce qui a circulé un peu partout — et qui est désormais en voie d'être corrigé, grâce aux efforts de Goldacre et de quelques autres.

Ce qui se cache derrière cette désinformation semble être une campagne de désinformation orchestrée par PETA , le groupe de défense des animaux.

Au moment où il est raisonnable de prévoir que des résultats de recherches en biologie vont, et de plus en plus, considérablement bouleverser toutes nos certitudes et nos systèmes de valeur, il faut souhaiter que nos discussions se fassent à partir de la base d'information la plus sérieuse et la plus crédible qui soit — et pas sur des mensonges intéressés. La sexualité humaine est une affaire très complexe; que l'homosexualité ait une base génétique et héréditaire est (serait ?) une donnée majeure à prendre en compte. Tout cela doit être envisagé calmement, sereinement et rationnellement.

En attendant, des groupes de fondamentalistes religieux ne s'y trompent pas quand ils craignent une telle découverte (sur l'homosexualité humaine) , qui anéantirait leurs efforts pour réintégrer dans le droit chemin les «pêcheurs» qui ont choisi une «mauvaise vie». D'autre part, les perspectives d'un traitement visant à «soigner» l'homosexualité ou à empêcher la naissance d'enfants homosexuels sont si graves qu'on doit les examiner en se fondant sur la science la meilleure. PETA Ne rend service à personne en agissant comme elle l’a fait.

Il se trouve que je lisais sur cette affaire en même temps que je lisais l'excellent dossier sur

Alan Turing (1912-1954), que le magazine Pour la science vient de publier .

Comme bien des gens, Turing et un de mes héros — son travail de mathématicien et de philosophe me fascine et m'éblouit. Il était comme on sait homosexuel. En 1952, il subit à Manchester un procès pour «crime d'homosexualité». Le juge est embêté. Le prévenu est célèbre, ses travaux, tout le monde le dit, sont importants, voire géniaux (ils sont à l'origine des ordinateurs); de plus, il a, durant la guerre, joué un rôle de tout premier plan dans le décodage d'Enigma, le super code secret allemand et, par là, rapproché, sans doute considérablement, la fin du conflit.

Le juge va donner le choix à Turing : l'emprisonnement ou un traitement hormonal. Turing prendra le traitement. Les effets secondaires en sont connus : en particulier, des seins qui poussent et l'absence d'érection.

Le 7 juin 1954, Alan Turing s'est suicidé.

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