Une «expérience de pensée» (en allemand: Gedankenexperiment; en anglais : thought experiment) est bien, en un sens, une sorte d’expérience, puisqu’on y manipule des variables dans un but cognitif.

Mais c’est une expérience très particulière, puisqu’on la réalise uniquement «de tête» et sans avoir à se livrer (en certains cas parce que cela serait impossible) à l’expérience réelle qui est envisagée.

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Plus précisément, une expérience de pensée nous propose un exercice d’imagination durant lequel on va envisager comme un cas-type une situation particulière. Le but sera généralement d’établir la cohérence conceptuelle de certaines idées, les limites de certains concepts, les implications de certaines théories ou encore la compatibilité d’une idée avec une théorie donnée.

En voici une très célèbre, imaginée par Newton.

On pourrait l’oublier, mais la conception newtonienne du temps et de l’espace, celle de la mécanique, classique, a dû lutter pour s’imposer. Prenons l’exemple de l’espace, justement.

En simplifiant, on pourrait dire que quand la physique classique se constitue, deux réponses s’affrontent.

La première assure que l’espace, ce n’est rien d’autre que les relations entre les objets du monde. Si vous voulez, l’espace, ici, est compris un peu sur le modèle d’un contrat, dans le sens où un contrat est quelque chose qui lie deux personnes. Supprimez l’une ou l’autre de ces personnes (ou les deux) ou leurs relations et il n’y a plus de contrat, lequel n’existe donc pas en dehors des contractants et des relations qui les lient. De même, le monde est constitué d’objets en relation et l’espace, assurent les partisans de cette théorie, n’est rien d’autre que ces objets et leurs relations. Cette position était défendue par plusieurs, dont le philosophe et mathématicien G. W. von Leibniz (1646-1716).

Newton soutient qu’il existe un espace (et un temps) absolu(s) et pense plutôt l’espace sur le modèle d’une boîte de céréales. De ce point de vue, il existe bel et bien un espace (l’intérieur de la boîte) dans lequel les objets (les morceaux de céréales) se trouvent et on peut décrire les relations de ces objets par rapport à ce référent absolu. Vous l’avez deviné : il y a une grosse différence entre la boîte de céréales et l’espace absolu : pour Newton, l’espace absolu est un contenant comme la boîte mais qui se prolonge infiniment dans toutes les directions. De la même façon, pour Newton, il existe un temps absolu.

Comment décider entre ces deux théories, celle de Newton et celle de Leibniz? Newton a cru pouvoir trancher en faveur de la sienne à l’aide d’une expérience de pensée — dont voici un exposé simplifié et que j’espère assez clair.

Imaginez un seau à demi rempli d’eau. Il est suspendu par une longue corde au plafond d’une pièce. Moment 1 : l’eau est immobile relativement au seau et la surface de l’eau est plane. À présent vous tournez la corde, de très nombreuses fois. Puis vous relâchez. Moment 2 : le seau se met à tourner; l’eau reste plane et immobile pendant que le seau est en mouvement (il tourne) par rapport à l’eau. Moment 3 : le seau continue à prendre de la vitesse et communique son mouvement à l’eau qui se meut avec lui et à sa vitesse; eau et seau sont alors immobiles l’un par rapport à l’autre; on constate alors aussi que l’eau a monté sur la paroi du seau et que sa surface n’est plus plane, mais se creuse au centre (devient concave).

Newton pose la question suivante : qu’est-ce qui fait monter l’eau sur les parois du seau au moment 3? Son mouvement, sans doute. Mais mouvement par rapport à quoi? Pas par rapport au seau, évidemment puisqu’ils sont alors immobiles l’un par rapport à l’autre, comme au moment 1. Par rapport à la pièce où se déroule l’expérience, alors? À la Terre? Newton répond à sa propre question en disant que l’eau manifeste ici les effets de la force centrifuge à laquelle la Terre elle-même est soumise. L’eau est en fait en mouvement par rapport à l’espace absolu et c’est ce qui explique la courbure de sa surface. C’est aussi ce qui permet de distinguer absolument le moment 1 du moment 3.

L’espace absolu existe donc, conclut Newton, et il a, on vient de le voir, des effets observables.

Les expériences de pensée, on le devine, sont un sujet passionnant et elles soulèvent d’innombrables questions. Mais, pour le moment, j’aimerais bien connaître des expériences de pensée que vous trouvez particulièrement originales, instructives ou dignes de mention à un titre ou à un autre.

Et la prochaine fois, je vous indiquerai certaine des miennes…

Je donne