Le cerveau QS.jpg (233.95 Ko)

Petit billet d’humeur plus général aujourd’hui. On m’a récemment demandé mon avis sur l’état de la culture scientifique au Québec. Sans doute parce que c’est mon pain et mon beurre d’essayer d’en faire la promotion depuis des années. J’ai répondu honnêtement qu’à mon avis c’était un désastre. Aucun mépris ou condescendance là-dedans, évidemment. Juste un triste constat que je vais tenter d’étayer un peu dans les lignes qui suivent.

D’abord un mot sur la campagne électorale actuelle au Québec qui ne fait que confirmer mon impression : les deux partis qui se font la lutte en tête des sondages, le PLQ et la CAQ, font campagne sans pratiquement parler d’environnent, alors que notre biosphère s’apprête, selon les scientifiques, à devenir une étuve. Pire, ils fustigent les préoccupations environnementales d’une frange allumée (sans jeu de mot…) de la population (et du parti qui les représente, Québec Solidaire) parce qu’elles s’opposeraient à « l’économie » et aux « jobs ». Alors que ces préoccupations vont exactement dans le sens de ce que préconise par exemple le spécialiste du climat Will Steffen, à savoir “une transformation reposant sur une réorientation fondamentale des valeurs, de la philosophie, du comportement, des institutions, des économies et de la technologie humains”. Et c’est là qu’apparaît clairement le désastre dont je parlais quant à la culture scientifique et l’esprit critique de la majorité de la population : dans l’appui massif que ces partis, qui font fi de l’urgence environnementale, s’apprêtent à recevoir…

Mais comment pourrait-il en être autrement ? Promouvoir la science ou l’esprit critique ou l’éducation (c’est la même chose) va à l’encontre de l’agenda des puissants, de ceux qui gouvernent réellement le monde. Je ne crois pas avoir besoin de vous faire un dessin (ou toutes autres comparaisons scandaleuses entre le 1 % et le reste de la population mondiale) pour que vous compreniez ce à quoi je fais allusion. Et pourtant – et cela me fascine toujours –, on interpelle inlassablement nos élu.es provinciaux ou fédéraux de façon rationnelle et polie sur le peu de ressources allouées à cette culture scientifique générale. Et toujours on se fait étourdir par de beaux discours plein de vertus mais qui sont là au fond pour une chose : défendre le système en place. Ce système, il a un nom tout simple et c’est le capitalisme. Certains aiment le qualifier d’« avancé », de « néolibéral », de « financier », etc. Mais au fond, sa définition la plus courte est peut-être comme je l’ai lu récemment « un système qui évite de payer ses factures », tant sur le plan humain qu’environnemental.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Maintenant qu’on a nommé l’éléphant dans la pièce, on peut peut-être revenir à la question initiale et se demander pourquoi le capitalisme ne peut et ne pourra jamais faire véritablement la promotion d’une pensée scientifique pour le plus grand nombre. Encore une fois, je ne donnerai pas ici un petit cours de Capitalisme 101, mais je rappellerai simplement qu’offrir sa force de travail en échange d’un (habituellement maigre) salaire pour qu’une minorité de chef d’entreprise s’enrichissent à nos dépens est encore le lot quotidien de l’immense majorité des gens. Et le cours de Capitalisme 102, lui, permet de bien comprendre qu’à partir d’un certain point, on a dû créer la consommation de masse pour que la fuite en avant absurde et insoutenable de la croissance infinie dans un monde fini que prône le capitalisme puisse continuer. Donc comme l’ont dit bien d’autres mieux que moi il nous fallait des Wall Mart et du « tittytainment » à profusion pour ne pas que les gens finissent se révolter.

Du pain et des jeux donc. Où est l’intérêt de favoriser une culture scientifique générale là-dedans ? Nulle part, bien entendu ! On ne veut pas des êtres capables de réfléchir par eux-mêmes sur les enjeux qui les concernent et d’en débattre avec les autres (ce qui pourrait être une définition de la démocratie), on veut des vies aussi vides d’aspirations collectives que possibles et avec une maison et une carte de crédit aussi pleine que possible.

Bon, assez pour ce constat ma foi évident mais qui m’apparaissait nécessaire avant de dire quoi que ce soit sur la culture scientifique en général. Comment favoriser son développement à grande échelle ? Encore une fois il faudrait repenser la finalité de l’école et des médias au grand complet pour espérer autre chose que le statu quo. Former des citoyens curieux plutôt que des diplômés. Montrer les liens qui unissent les choses plutôt que simplement dégager du temps de cerveau disponible pour la pub

Je tiens aussi à dire que ceux qui œuvrent actuellement à la promotion de la science avec les miettes budgétaires qu’on leur alloue font souvent des miracles, je suis le premier à être admiratif devant leur travail. La question n’est pas là. La question c’est combien de temps on va encore accepter de se faire rire dans la face ? C’est peut-être une question de tempérament, mais certaines personnes, et j’en suis, en sont incapables. C’est pour ça que, si je prends juste ma petite histoire personnelle, j’ai co-animé avec des camarades un journal politique satirique indépendant durant une douzaine d’année, que je rédige ce site web (depuis 2002), ce blogue (depuis 2010), que je donne des formations sur les sciences cognitives (depuis 2014) et que je m’implique dans le collectif de l’UPop Montréal qui offre des cours gratuits dans les bars (bref, qui réalise concrètement ce pourquoi on était dans la rue en 2012…)

Qu’ont en commun ces canaux indépendants comparés à bien des instances plus officielles de vulgarisation scientifique et de diffusion de l’esprit critique au sens large ? Je dirais qu’ils ne perdent jamais de vue l’éléphant dans la pièce. Ils le nomment et le pourfendent publiquement pour que les gens puissent découvrir puis garder en tête l’ennemi à abattre.

Voilà le genre de « fact checking » que, de mon côté, je privilégie. Maintenant, « discutez », comme ils disent…  ;-)

Je donne