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La méthode scientifique est probablement l’outil intellectuel qui a eu le plus d’impact sur l’humanité. Pourtant, il semble être méconnu, même de la part de certains scientifiques.

J’ai commencé à temps perdu à travailler à la rédaction d’un livre de vulgarisation scientifique décrivant les outils intellectuels que les scientifiques (particulièrement les physiciens) utilisent au quotidien. Comme il se doit, il comporte une section décrivant la méthode scientifique. Je profite donc de l’occasion pour vous faire part de mes réflexions sur ce qu’est la méthode scientifique et ce que semble croire le public et même certains scientifiques.

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La description de la méthode scientifique que connaissent la plupart des gens est celle qui est enseignée dans les écoles : On part d’une hypothèse à partir de laquelle on fait une prédiction qui, soumise à une expérience, sera validée ou rejetée. À partir de mon expérience personnelle, il m’apparait que cette description, bien que pédagogique, ne colle pas à la réalité et que cela entraine une perception erronée qui entraine elle-même des malentendus chez le public.

En effet, la démarche scientifique aujourd’hui est beaucoup plus compliquée. Il est rare que les chercheurs travaillent avec une seule hypothèse produisant une prédiction pouvant être réfutée par une seule expérience. La recherche scientifique se situe dans le cadre d’un programme de recherche. Par exemple, l’étude de la cosmologie comprend plusieurs théories alternatives qui chacune produisent leur propres prédictions. L’écologie, la climatologie et la recherche sur le cancer sont de la même nature.

À ce niveau, il y a déjà une démarche visant à repérer les hypothèses fausses. D’une part, la consistance logique des hypothèses entre elles et avec leurs prédictions est vérifiée. Ce mécanisme est à la base de la preuve par l’absurde en mathématiques pures. C’est d’ailleurs, le seul mécanisme disponible dans ce domaine. De plus, la consistance entre les théories est vérifiée. En effet, il est impensable que des théories alternatives de la gravité ne donnent pas le même résultat que la théorie de Newton au premier ordre.

De même, souvent, les théories ne peuvent être testées directement. Par exemple, si le modèle standard de la physique des particules prédit l’existence du boson de Higgs, cet effet n’est pas mesurable sans ajouter des éléments théoriques additionnels eux-aussi soumis à une procédure de vérification. Ainsi, afin de pouvoir détecter le boson de Higgs, il faut un modèle phénoménologique du signal qu’il produit dans un détecteur. En fonction de ce modèle, une expérience est montée et des mesures sont prises. Souvent, il n’est pas possible de tenir une expérience comme en astrophysique ou en climatologie. Dans ce cas, c’est un programme observationnel qui recueille des mesures.

Les mesures obtenues sont sujettes à des erreurs expérimentales, des sources de bruits et des biais. Des étalonnages accompagnent ces mesures. Souvent, ces mesures ne sont pas directement exploitables et doivent faire l’objet d’une analyse complexe qui produira des données réduites, étalonnées et validées. À la fin du processus d’analyse, on a en main des données, ainsi que les métadonnées associées.

Ce sont ces données qui peuvent être comparées avec les prédictions d’une théorie. Toutefois, bien souvent les données sont aussi comparées ou combinées à d’autres données (intercomparaison, méta-analyse, fusion et réanalyse). D’une part, cela permet d’évaluer les erreurs systématiques et ainsi de remplir la condition de reproductibilité qui est le fondement de la science. Cela permet aussi d’augmenter la puissance statistique des expériences. De plus en combinant plusieurs types de données (fusion et réanalyse), on peut mieux isoler les phénomènes causés par des variables confondantes. Les résultats de ces analyses combinées sont eux aussi comparées avec les prédictions d’une théorie.

De cette comparaison, on peut déterminer si une ou certaines prédictions d’une théorie sont valides ou non. On peut alors renforcer la confiance que l’on a dans une hypothèse ou la diminuer selon le résultat. Cependant, il est rare qu’une théorie ou encore moins un programme soit complètement rejeté par une expérience. En effet, il y a tellement de théories alternatives, d’hypothèses et de prédiction que souvent une seule petite partie est affectée par les résultats d’une expérience ou des observations.

Mon expérience personnelle m’indique que c’est là que se trouve la différence fondamentale entre le fonctionnement réel et le fonctionnement perçu de la science. Il suffit d’avoir passé quelques heures à discuter sur internet pour s’apercevoir que pour bien des gens (incluant des scientifiques) qu’il ne suffit que d’une seule mesure ou une seule observation pour confirmer ou discréditer une théorie. À mon avis, c’est là que se trouve la base de nombreuses «controverses» scientifiques (ex : changement climatiques, OGM, vaccins, radioactivité à faibles doses, champs électromagnétique, fusion froide, etc.)

Ce qui peut sembler surprenant, c’est que certains scientifiques adhèrent à la description simplifiée de la méthode scientifique et rejettent sa version plus étendue comme étant de la mauvaise science. L’exemple d’un virologue québécois, blogueur de droite à ses heures, me vient en tête. Mon impression générale est qu’il s’agit souvent des chercheurs habitués aux conditions de laboratoires où les prédictions peuvent être testées plus directement. La phénoménologie et l’analyse y sont souvent plus simples que dans d’autres domaines. Il y a donc moins de modèles mathématiques, les mesures sont plus propres et plus faciles à analyser. Globalement donc, il y a beaucoup moins de place pour l’erreur et par conséquent, les résultats négatifs éliminent beaucoup plus efficacement une théorie. C’est aussi pour cette même raison que les résultats inconsistants ou négatifs d’une théorie sont considérés comme une démonstration de l’échec de cette dernières alors que dans d’autres domaines, ils peuvent tout simplement indiquer des problèmes avec des éléments périphériques de la théorie.

J’ai construit ce schéma à partir de mon expérience de physicien ayant œuvré dans plusieurs domaines. Je n’ai pas la prétention qu’il est parfait. C’est pourquoi, j’aimerais avoir l’opinion d’autres scientifiques afin de valider ma compréhension et au besoin le compléter. Vos commentaires sont les bienvenus.

Mise à jour 8 septembre 2013

Ayant eu vent de ce blogue. Steven Fiores de l'University of Central Florida, m'a suggéré ce site web d'une groupe de recherche de Berkeley. Là encore, on voit que la démarche scientifique est beaucoup plus complexe que le simple schéma pédagogique traditionnel.

Mise à jour 14 septembre 2013

Le hasard a voulu que deux blogues sur le même sujet apparaissent à peu près en même temps:

Sham and Science, Université de Poitiers

Rembobinage du Fil d'Ariance,

Mise à jour 15 octobre 2013

Suite à une discussion, mon collègue physicien Normand Mousseau m'a fait remarquer qu'en physique, la démarche scientifique ne commence pas souvent par une hypothèse, mais par une question. Cela représente une différence fondamentale avec la description traditionnelle. Dans le contexte de mon schéma, une question représenterait un programme vide d'hypothèse.

Il a d'ailleurs lui aussi remarqué que les chercheurs dans le domaine des sciences biologiques ont une tendance à se coller sur la version traditionnelle de la méthode scientifique dans leur travaux.

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