Le barrage Daniel-Johnson au Québec

Il y a trois ans, je faisais paraître un article qui avait pour titre : " Et si le système cérébral était à l'origine simplement un réservoir d'énergie ? ". Celui-ci faisait suite à un autre dans lequel j'invitais les lecteurs et lectrices à se questionner avec cet autre titre : " Les fonctions cérébrales seraient-elles d'abord apparues en modulant un ensemble de réflexes? ". Ces deux textes constituent un premier enchaînement sur ce sujet.

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Plus récemment, il y a quelques mois, je mentionnais une étude qui montrait que la myéline devient une source d'énergie lors d'une activité physique intense et prolongée. Les auteurs précisaient que la myéline dégradée avait pu être reconstituée complètement 2 mois après une épreuve de course. La biologie nous offre donc ici un exemple de réservoir cérébral d'énergie disponible pour les muscles. Aujourd'hui ce n'est pas la fonction première de cette substance qui agit comme une gaine isolante pour protéger l'axone des neurones, mais si on remonte suffisamment loin dans le temps, pourrait-on imaginer que cette myéline serait d'abord apparue au sein des premiers systèmes cérébraux à titre de simples réservoirs d'énergie sans constituer, au départ, une substance enrobant les cellules nerveuses? Dans leur ouvrage qui s'intitule "La myéline. Le turbo du cerveau", Florence Rosier et Bernard Zalc mentionnent que la gaine de myéline est apparue il y a 425 millions d'années chez les placodermes1 (la classe des poissons à être les premiers vertébrés à posséder une mâchoire). Si c'est le cas, cette gaine de myéline a pu évoluer pendant plus de 400 millions d'années et, avant cela, cette évolution a pu être précédée d'une autre au cours de laquelle cette même substance n'avait peut-être pas ce rôle protecteur s'il s'agissait de fournir simplement de l'énergie aux cellules nerveuses. Une gaine de myéline s'enroulant autour d'une autre cellule représente déjà une forme très élaborée. Il n'est pas interdit de penser que ce type de structure ait été précédée par un regroupement de cellules, constituant des réservoirs de lipides avoisinant les cellules neuronales, tout en étant séparées d'elles.

Nous savons aussi que la myélinisation du cerveau humain survient par étape au cours du développement de l'enfant. Pour faire simple, les zones du cortex olfactif, auditif et sensorimoteur sont les premières à être myélinisées, alors que celles du cortex associatif et préfrontal le sont en dernier. Cela pourrait suggérer que ces zones les plus récentes du néocortex auraient pu être fonctionnelles durant plusieurs centaines de milliers d'années tout en étant dépourvues de myéline alors que les zones corticales les plus anciennes étaient myélinisées depuis un passé évolutif très ancien remontant à plusieurs millions d'années. Du fait d'une vitesse de l'influx nerveux bien plus lente de ces zones corticales plus récentes en l'absence de myéline, cette suggestion pourrait s'accorder avec, ce qui apparaît aux paléoanthropologues, comme ayant constitué une longue période de quasi-stagnation, chez les hominidés, sur le plan du développement technologique en lien avec la fabrication d'outils de pierre. Ce n'est d'ailleurs pas un exemple isolé de ce que les paléontologues appellent une stase dans le domaine de l'évolution pour les tenants de la théorie de l'équilibre ponctuée, sauf que, dans ce cas-ci, elle concerne la cognition.

Deux types de réservoirs d'énergie à imaginer

Dans l'un de ses articles, Bruno Dubuc nous explique pourquoi les neurones sont si énergivores :

« ... ce sont les neurones qui sont les ogres énergivores de notre cerveau, consommant à eux seuls près de 80% de l’énergie cérébrale. Et pour faire quoi ? Principalement pour faire fonctionner des transporteurs d’ions (ou « pompes ioniques ») qui sont des protéines transmembranaires permettant de sortir certains ions et d’en faire entrer d’autres dans le neurone contre leur gradient électrochimique. Car il faut rappeler que tous nos processus cérébraux, desquels découle notre pensée, reposent sur de l’activité électrochimique ( les « influx nerveux » ou « potentiels d’action » ) qui circule le long des axones de nos neurones qui forment des réseaux complexes à différentes échelles (notre « connectome »). Or un influx nerveux est produit par l’entrée d’ions sodium dans le neurone et par la sortie quasi immédiate d’ions potassium, créant ainsi la dépolarisation brève qui se transmet de proche en proche et qu’on appelle potentiel d’action. Et si ce potentiel d’action peut se produire si rapidement (en quelques millisecondes), c’est que les ions entrent et sortent très vite dès l’ouverture de leurs canaux respectifs dans la membrane cellulaire en suivant leur gradient électrochimique. Ils vont ainsi rapidement du compartiment le plus concentré vers le moins concentré sans avoir besoin d’un apport d’énergie pour le faire. Mais alors pourquoi les neurones sont si énergivores ? Simplement parce que s’il n’y avait que ce processus à l’œuvre, cela ne prendrait pas de temps pour que les gradients électrochimiques deviennent égaux de chaque côté de la membrane neuronale et toute possibilité de générer de nouveaux influx nerveux serait impossible. Il faut donc constamment recréer ces gradients électrochimiques en pompant activement du sodium à l’extérieur du neurone et du potassium à l’intérieur de celui-ci, et ça, ça demande de l’énergie ! »

Ces remarques pourraient apparemment suffire pour écarter du revers de la main l'idée du système nerveux comme réservoir d'énergie. Il se trouve, en fait, qu'avec ses connaissances en neurophysiologie, l'auteur nous livre, dans ce même article, une clé. L'idée remonte à Henri Laborit, qui l'a exprimée dans les années 1960. Cela vaut à nouveau la peine de reprendre la citation de l'article :

« Laborit constate que les cellules qui ne souffrent pas de l'absence d'oxygène, contiennent peu de mitochondries, tandis que les autres en possèdent énormément. Si bien qu’il discerne deux types de cellules: - le type « A », qui sont pauvres en mitochondries et utilisant peu d'oxygène, et qui ont une voie des pentoses développée [comme les cellules gliales] - et le type « B », qui sont riches en mitochondries consommant beaucoup d'oxygène suite au travail considérable d'un organe [comme les neurones]. Les premières synthétisent, mettent en réserve, alors que les autres dépensent et brûlent énormément. »

L'idée, nous dit-il, a été reprise (en 2016). Deux types principaux de cellules cérébrales (neurones et cellules gliales) et deux processus de consommation d'énergie. Les cellules gliales constituant des réserves énergétiques tandis que les neurones dépensent leur énergie constamment. 

Que ce soit pour comparer le connectome à un réseau d'autoroutes, à une forêt ou au réseau Internet, il peut être utile, ici aussi, de se servir d'analogies. Comme il est question ici de réservoir d'énergie, nous pouvons être amenés à en distinguer deux types. Un réservoir d'énergie de type statique et un autre fonctionnant constamment en mode dynamique. Le premier pourrait se comparer à une simple pile, mais on peut faire mieux en utilisant la même infrastructure pour les deux comparaisons : celle d'une centrale hydroélectrique. En mode statique, l'énergie de réserve correspond simplement à la quantité d'eau accumulée derrière le barrage en attente sans que l'eau actionne les turbines. En mode dynamique, il faut imaginer que, non seulement l'eau actionne les turbines, mais aussi que le niveau d'eau derrière le barrage se rétablit constamment avec l'accumulation des pluies. De cette façon nous pouvons imaginer qu'autant les neurones que les cellules gliales puissent constituer des réservoirs d'énergie, chacun à leur façon.

Il aura fallu sans doute d'autres innovations, telles que l'apparition des neurones inhibiteurs pour qu'un réseau neuronal puisse fonctionner comme réservoir d'énergie. L'activité de ces derniers aurait fait émerger le phénomène d'aiguillages de l'influx nerveux, ou, à tout le moins, l'aurait rendu plus performant. C'est ce phénomène d'aiguillages qui me semble constituer la clé de l'idée de réservoir d'énergie dynamique avec les neurones. 

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