L’Agence Science-Presse a publié le 21 novembre 1978, il y a donc 30 ans, le premier numéro de son bulletin Hebdo-Science. Voici un autre des 30 articles que nous vous offrons d’ici au 21 novembre 2008... Lisez-le et mesurez le chemin parcouru... ou pas encore parcouru!

Des vers immortels à McGill

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À première vue, ce sont des vers tout à fait ordinaires : ils mangent, rampent et gigotent comme tous les vers de la planète. Mais du fond de leur laboratoire, à l’Université McGill, ils attirent soudain l’attention des biologistes du monde entier. Car ces vers sont des mutants, qui possèdent peut-être dans leurs gènes le secret de l’immortalité.

« Ces animaux sont aussi près de l’immortalité que des vers peuvent l’être », a raconté à plusieurs reprises, depuis la fin-mai, Siegfried Hekimi. Avec la parution d’un article dans une récente édition de la revue américaine Science, le biologiste de McGill et son collègue Bernard Lakowski ont en effet créé une petite commotion, d’abord dans la communauté des experts en génétique et en vieillissement, puis au-delà —et jusqu’au New York Times . En manipulant les gènes de ces petites créatures, ils ont réussi, affirment-ils, à multiplier leur espérance de vie par cinq. Et peut-être même davantage : un des vers qui, en temps normal, n’aurait vécu que neuf jours, est mort à l’âge vénérable de deux mois.

De mémoire de biologiste, jamais une espèce, quelle qu’elle soit, n’avait vu son espérance de vie allongée de façon aussi radicale.

Le résultat, s’il devait être vérifié, constituerait une percée phénoménale pour la science du vieillissement. Les chercheurs spécialisés dans ce domaine étudient depuis longtemps les vers, pour la simplicité de leur système génétique, et surtout pour leur espérance de vie limitée à quelques jours. Mais ce n’est que tout récemment qu’ils ont commencé à mettre la main sur des gènes permettant de lever une partie du voile sur les mystères du vieillissement. « Vous espérez toujours comprendre des processus biologiques de base comme celui-ci (le vieillissement), qui vous conduiront à mieux comprendre les processus similaires qui se produisent chez des organismes supérieurs », déclarait Anna McCormick, de l’Institut américain sur le vieillissement, en commentant la découverte de Hekimi et Lakowski.

Cette découverte repose sur trois gènes que les deux Montréalais avaient baptisé « Clock genes » (littéralement : les « gènes-horloges ») et dont la fonction, ont-ils découvert, est de « synchroniser » les différentes activités biologiques des vers. C’est en cherchant à comprendre comment ces gènes s’y prenaient pour assurer cette synchronisation que les chercheurs et leur équipe leur ont fait subir diverses mutations. Pour aboutir finalement au résultat qu’on connaît maintenant.

Mais l’elixir de longue vie s’accompagne d’un prix à payer, explique Siegfried Hekimi. Si ces vers vivent plus longtemps, c’est parce qu’ils vivent plus lentement. Beaucoup plus lentement. Ils mangent plus lentement, ils digèrent plus lentement, ils se déplacent plus lentement... Même les embryons se développent plus lentement. Littéralement, les vers mutant vivent au ralenti. « Il y a un ralentissement généralisé » de tout ce qui constitue la vie d’un ver.

En théorie, le « traitement » pourrait s’appliquer aux humains : bien qu’on n’en ait pas encore la preuve, on présume que les « gènes-horloges » ont leur équivalent chez l’Homo sapiens. Les biologistes moléculaires s’entendent de plus pour dire que, sur les 8000 gènes déjà identifiés chez le ver, 40% ont un homologue chez les mammifères.

D’autre part, une des écoles, dans l’étude du vieillissement, veut que la mort ne soit rien d’autre que le résultat des dommages accumulés par notre organisme. C’est à cette école que souscrit Hekimi : « par exemple, les processus métaboliques entourant l’absorption d’oxygène sont toxiques pour nos propres cellules. Donc, si vous viviez plus lentement, vous accumuleriez ces dommages plus lentement, de sorte que vous vivriez probablement plus lentement. »

Mais ça c’est de la théorie. En pratique, à supposer que l’on trouve un jour un moyen d’appliquer le traitement génique subi par les vers de McGill à un être humain, celui-ci n’y survivrait pas, affirme Hekimi.

« Avec nos vers, dans notre laboratoire, ce n’est pas compliqué. On les met dans un bocal, on les asseoit dans la nourriture et ils n’ont rien d’autre à faire de leurs journées. »

Et le fait est que ces vers ne font rien. Déjà qu’un ver ordinaire n’est pas réputé pour être l’animal le plus actif qui soit. Mais il prend des allures de boute-en-train à côté des vers mutants de McGill.

« Ils sont très léthargiques », poursuit pudiquement le chercheur. « Ils se contentent de rester là. Ils ne sont pas heureux. » Le secret de l’immortalité résiderait-il dans une vie ennuyeuse... à mourir?

Par Pascal Lapointe. Ce texte est d’abord paru dans La Presse, 2 juin 1996, page 1.

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