Si le projet
de loi anti-clonage, adopté la
semaine dernière (par 262
voix contre 162) par la Chambre des
représentants, est confirmé
par le Sénat, les Etats-Unis
rendront illégale toute recherche
sur le clonage humain. Y compris les
recherches sur les cellules-souches,
ces cellules contenues (entre autres)
dans les embryons et qui, clonées
à linfini, contiennent
peut-être un potentiel de guérison
unique en son genre.
La raison du refus américain
est simple: toute forme de clonage,
quil sagisse du clonage
dun individu -honni par la grande
majorité des scientifiques- ou
de cellules dembryons -comme ces
cellules-souches, vantées par
la grande majorité des scientifiques-
est "moralement indéfendable",
ont déclaré la Maison-Blanche,
et les élus.
Moralement indéfendable.
Pourtant, cest le même pays
qui, la même semaine, se retirait
du projet de Convention mondiale sur
les armes biologiques. Un traité
qui était négocié
depuis six ans. Motif: les procédures
de vérification -pour sassurer
que les pays respectent le traité-
seraient trop molles. Ce sont pourtant
les Etats-Unis eux-mêmes, sindigne
Nature en
éditorial, qui se sont régulièrement
opposés à leurs alliés
de lUnion européenne, eux
qui réclamaient justement des
inspecteurs avec davantage de pouvoirs.
Moralement indéfendable:
on veut protéger les bébés
à naître. Mais c'est le
même pays où une Française
de 62 ans a récemment pu se rendre
dans une clinique de fertilité
de Los Angeles, afin dy être
inséminée par le sperme
de son frère de 52 ans; et ce,
sans qu'elle n'ait brisé la moindre
loi. C'est le même pays où
une clinique du New Jersey a pu, en
mai (lire: Les
bébés OGM), annoncer
avoir contribué à la naissance
de bébés contenant le
matériel génétique
de trois parents -un papa, et deux mamans-
une technique à peine testée
sur les animaux.
Bref, dénonçait
récemment le New Scientist,
il est possible de créer des
embryons à partir de n'importe
qui et n'importe comment. A la condition
qu'ils n'aient pas été
clonés. Allez comprendre.
Y a-t-il un gagnant à
cette décision du gouvernement
Bush ? La Grande-Bretagne, peut-être,
semble ironiser, là-bas, la BBC :
parce que si les experts en clonage
thérapeutique -cest-à-dire
le clonage de cellules à des
fins médicales, à ne pas
confondre avec le clonage dindividus-
ne peuvent plus travailler aux Etats-Unis,
ils
pourraient bien décider de déménager
en Grande-Bretagne. Le clonage dindividus
a été déclaré
illégal là-bas, mais la
porte est toujours aussi grande ouverte
aux clonage de cellules dembryons.
Il en est de même en Israël,
en Australie, en France et au Canada,
entre autres. Et si les chercheurs déménagent,
les investissements, et ils sont importants,
les suivront...
Paul Berg, spécialiste
de lADN à lUniversité
Stanford et Prix Nobel 1980, a qualifié
de "décision dégradante"
le projet de loi adopté par la
Chambre des représentants. Et
de presque aussi dégradant le
fait que... à peu près
aucun des élus ne comprenait
de quoi parlait ce projet de loi...
En soi, la manipulation
de cellules-souches dembryons
ne serait pas à proprement parler
illégale, si ce projet de loi
était adopté par le Sénat.
Il serait toujours possible de manipuler
des cellules-souches dembryons :
ce qui serait interdit, ce serait de
les cloner. Le président Bush
doit justement prendre, pendant
ses vacances, une décision à
ce sujet. Mais même sil
devait permettre que ce type de recherche
se poursuive, elle en serait singulièrement
limitée, dénoncent les
chercheurs: si on découvre que,
avec un type de cellule A, il est possible
de faire "naître" un
poumon compatible avec un patient B,
comment diable créer ce poumon,
si on ne peut pas cloner la cellule ?
Le premier clone sera-t-il italien ?
Le plus inquiétant
dans tout cela est peut-être que
même le clonage dindividus,
bien quhonni par la majorité
des scientifiques, aura peut-être
lieu un jour prochain. En dépit
des expériences qui démontrent
quil est associé à
un taux déchecs effarant,
et en dépit des lois: au même
moment où la Chambre des représentants
votait à Washington, un médecin
italien, le Dr Severino Antinori, devenu
célèbre plus tôt
cette année pour avoir annoncé
son intention de cloner le premier humain,
annonçait avoir
trouvé 200 femmes de plusieurs
pays prêtes à se faire
inséminer dans le cadre de
ses expériences. Ces femmes sont
stériles et seraient daccord
pour tenter leur chance, avec cette
technique, davoir un enfant.
Le Dr Antinori, doit en faire lannonce
officielle mardi, à Washington,
lui aussi, dans le cadre du congrès
de lAssociation nationale des
sciences.
Il affirme avoir obtenu
dimportants financements de lentreprise
privée. Son "projet de recherche"
devrait démarrer en novembre.
Pour Antinori, le clonage
est une avancée scientifique
"qui ne pourrait pas et ne devrait
pas" être arrêté.
En théorie, le gouvernement italien
pourrait à son tour déclarer
de telles expériences illégales.
Mais il se trouvera sûrement un
gouvernement, à travers le monde,
pour accueillir à bras ouverts
le Dr Antinori, sa clinique -et ses
gros sous.