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J’habite à Cape Town, en Afrique du Sud, depuis six mois. Une ville magnifique au bord de la mer, avec ses plages, ses vignobles, ses montagnes… un peu comme dans le sud de la France ou en Italie, à une fraction de prix ! Mais l’Afrique du Sud, c’est aussi l’apartheid. Il en reste beaucoup de traces, comme les townships. On m’a dit de ne jamais mettre les pieds dans ces ghettos noirs. Trop dangereux. Surtout pour un blanc, car ici, être blanc est synonyme d'être riche. J’ai obéi, jusqu’à la fin de semaine dernière. J'ai finalement décidé d'aller faire un tour à Khayelitsha, un des plus grands townships d'Afrique du Sud, comparable à Soweto. Tout seul, sans escorte policière, sans "locaux" pour me guider, sans bus de touriste.

On n'entre pas dans un township par erreur. Bien qu'on les voit de l'autoroute, il n'y a généralement pas de sortie pour y aller directement. Faut faire un grand détour, passer un quartier industriel, traverser une voie ferrée, etc. Ça explique un peu pourquoi on voit tant de gens sur l'autoroute à pied. Sauter la clôture leur fait surement sauver quelques kilomètres de marche! Bref, une fois rendu en ville, il est facile de penser à autre chose. La pauvreté est tout de même difficile à voir dans «ma vie de tous les jours».

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Jusqu'en 1994, il était interdit pour un noir de se trouver (et encore moins d'habiter) dans un quartier blanc, sauf s'il avait une permission spéciale pour son travail. Même chose pour les "coloured", terme non péjoratif qu'ils utilisent pour les métis, ceux qui ne sont ni blanc, ni tout à fait noir. Ils avaient aussi leurs quartiers, généralement pas trop pauvres, mais pas aussi riches que les quartiers blancs. Bien que maintenant, il n'y a plus de restrictions (à part financières) pour habiter où l'on veut, les gens habitent souvent encore dans leur "zone" respective. C'est aussi pour des questions culturelles, comme les anglophones et les francophones à Montréal, qui ont tendance à se regrouper ensemble dans certains quartiers. Même les sports sont affectés. Les blancs descendants des Anglais sont généralement fans de cricket, pour les blancs afrikaans (descendants des Hollandais) et les "coloured", c'est le rugby et pour les noirs, c'est le soccer. Dumoins, c'est ce qu'on me dit.

Une fois qu'on a vu de quoi un township a l'air, on n’a pas trop le gout d'y aller. (voir photo). On s'imagine le pire : routes non pavées, barrages routiers, animaux dans les rues, violence, problème d'alcool, de drogue, prostitution. Aucun policier qui n’ose s’y aventurer, feux de camp dans des barils de métal, etc. Une zone postapocalyptique du type "Mad Max" quoi, où il vaut mieux ne pas s'arrêter aux feux rouges (il n’y en a probablement même pas!) pour ne pas se faire voler sa voiture et y perdre la vie. Certains townships sont plus sécuritaires que d'autres. On y organise même des visites en bus pour les touristes. Bien que j’ai toujours été curieux de voir à quoi ça ressemblait, je trouvais ça un peu trop "zoologique" à mon gout comme expédition. Un safari photo pour riches touristes blancs dans un ghetto noir, ce n'est pas trop mon style.

J'ai fait plus de 8000 km à moto depuis mon arrivée et j'ai vu des choses vraiment extraordinaires. Mais j'avais l'impression qu'il me manquait une partie importante du pays, celle qui se trouve de l'autre côté de la carte postale. Celle qu'on nous conditionne à oublier, à ne pas voir quand on passe à côté, à ignorer l'existence. J'ai finalement décidé d'y aller dimanche dernier, tôt en après-midi, simplement, tout en minimisant les risques. J'ai regardé la carte routière longtemps, programmé mon GPS, vérifié ma moto avant de partir, pression des pneus, essence, etc. Mon but était de passer en plein milieu de ce grand village et d'en ressortir vivant. J'ai surpris plus d'un collègue en leur racontant mon histoire. Plusieurs d'entre eux n'ont jamais mis les pieds dans un township de leur vie et se demandaient vraiment pourquoi j'avais risqué ma vie pour aller voir comment c'était.

Khayelitsha signifie "nouvelle maison" ou "nouveau chez soi" en Xhosa (la langue de Nelson Mandela) et près de 500000 personnes y vivent. Plusieurs ont été forcés d'y déménager quand ils ont vidé le "District 6" de Cape Town, ce qui a en partie inspiré le récent film District 9. Contrairement à ce que l'on se fait dire, ce n'est pas si pire que ça. Les gens y vivent normalement on dirait. Oui, il y a de la pauvreté, mais tout n'est pas si mal quand même. Je suis passé en plein milieu, sur la route principale, que j'ai suivie pendant près de 8 km avant d'en sortir. Belle route pavée, quatre voies de large, des voitures, plein de gens, tous endimanchés, qui revenaient surement de la messe! Il y a une grande vie communautaire là-bas, des gens dehors qui se parlent, des marchés à ciel ouvert et une très grande place de braai (BBQ) populaire, où les gens se rassemblent pour manger. Ça me donne vraiment le gout d'y retourner et d'y passer quelques heures la prochaine fois!

Ce que l'on voit de l'autoroute n'a rien à voir avec le coeur de la ville. La photo que j'ai prise montre Nyanga, (quartier KTC) un des township réputés des plus dangereux de l'Afrique du Sud. En bordure de l'autoroute Nationale 2, pris en sandwich entre l'aéroport et un autre township. C'est vraiment la pauvreté au maximum. Il serait facile de croire que tous les townships sont comme ça, mais ce n'est pas le cas. Au coeur de Khayelitsha, il y a de vraies maisons, principalement des HLM construits par le gouvernement. Oui, il y a des conteneurs (de transport maritime) transformés en maisons ou en boutiques, des toilettes chimiques un peu partout, mais quand même, ce n'est pas si pire qu'on le peut le croire. Certaines zones sont plus riches que d'autres, il y a des commerces, des stations-services, des hôpitaux, des écoles, on est loin de Mad Max! Tout n'est pas sale et poussiéreux. Et les gens qui vivent là ont quasiment l'air plus heureux que les gens qui vivent dans les "ghettos de riches", barricadés derrière leurs clôtures et systèmes de sécurité, sans contact avec leurs voisins, sans enfants qui jouent dehors. Je ne dirais pas que je suis prêt à déménager là-bas demain, que tout est beau et que c'est sans danger. Mais au moins, j'ai maintenant une idée de ce qu'est un township et ce n'est pas que des cabanes en carton et en tôle rouillée.

Pour voir la photo originale : http://picasaweb.google.com/lh/photo/_IhpUYsHGaHJZ6LOrE7LPA?feat=directlink

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