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Êtes-vous un adepte des « tracances »? Ou en d’autres mots, travaillez-vous régulièrement pendant vos vacances ? « Être en tracances, c’est être au travail de manière régulière sur le lieu de villégiature », résume le chercheur en économie de l’Université Bretagne-Sud, Clément Marinos.

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Travailler à distance grâce à une connexion internet facilite la vie de ceux qu’on appelle les nomades numériques, qui travaillent dans les aéroports, les chambres d’hôtels et même sur la plage de Bali.

Il existe divers degrés d’hybridation entre les vacances et le travail. « Près de la moitié (47%) des salariés consultent la messagerie pendant leurs vacances, un tiers y répond et un sur cinq a l’intention de travailler pendant les vacances », explique Gerhard Krauss, chercheur en sociologie de l’Université Rennes 2, de France. Bref, « une communauté très hétérogène », précise Clément Marinos.

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Tous deux intervenaient dans le cadre d’un colloque de l’Acfas consacré aux nouvelles formes du télétravail, qui avait lieu mardi à l’Ecole de technologie supérieure (ÉTS) de Montréal.

Cette hybridation serait un phénomène culturel, social et psychologique, où les frontières entre le travail et les congés s’amenuisent, à la recherche d’un équilibre entre la vie privée et l’emploi, le tout facilité par les nouvelles technologies.

Des compagnies, comme Holiworking, jouent même le rôle d’intermédiaires pour favoriser la pratique dans les lieux touristiques, en fournissant jusqu’à des visas. Car il existe des visas non spécifiques dans près de 65 pays pour ce type d’errants connectés.

Travailler là où je veux

Le télétravail est l’un des changements majeurs apportés par la pandémie. Il s’est imposé et demeure présent pour un travailleur sur trois au Canada (35%). Les employeurs doivent s’y adapter.

« Les relations de travail évoluent en facilitant le télétravail. Cela questionne les sphères privées et publiques », soutient Arnaud Scaillerez, professeur en gestion des ressources humaines à l’Université de Moncton.

Avec son équipe, il s’est intéressé aux espaces de travail hors de la maison et du bureau, qu’il nomme « co-living ». Il range ces nouveaux espaces alliant vacances et travail dans des tiers-lieux, au même titre que les bibliothèques ou les cafés.

Cela combine vie professionnelle et vie privée. « L’espace de co-living, c’est fait pour les nomades numériques, des trentenaires en transition de carrière ou de vie, qui veulent faire du surf au Maroc ou du yoga à Bali, tout en poursuivant leur vie professionnelle », note le chercheur.

Il a rencontré 40 de ces nomades, 12 créateurs d’espaces de co-living et dix élus locaux de partout dans le monde, pour comprendre leurs motivations et leurs défis. Ces entrepreneurs et professionnels indépendants appartiennent pour la plupart à l’économie du savoir: informatique, designer, communication, les arts, et même l’enseignement…

Il en ressort de multiples avantages : collaboration et partage, un sentiment d’appartenance au lieu – car les séjours peuvent durer plusieurs mois – mais aussi une grande mobilité et la découverte de soi. Il y a aussi des inconvénients, en commençant par le manque de stabilité ou un grand isolement.

« Les frontières deviennent poreuses entre vie privée et professionnelle. Cela occasionne des conflits, des plaintes sur la vie privée réduite ou encore un manque de sécurité », détaille le chercheur.

Il y a aussi des conséquences sur les non-nomades, les habitants des villes qui accueillent ces touristes d’un nouveau genre. « On note des impacts écologiques ou encore des loyers à la hausse, favorisant le « surtourisme ». Ce n’est pas toujours accueilli favorablement par la population locale », ajoute le Pr Scaillerez.

Les défis des régions éloignées

Par ailleurs, l’éloignement des grands centres peut poser des défis. 

«C’est trop souvent escamoté des conversations : il est impossible de parler de télétravail en l’absence d’un internet haute vitesse », rappelle le directeur du département des sciences administratives de l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, Yalla Sangaré.

Cette absence rend certaines régions moins attractives, tout comme la rareté des espaces de coworking. Mais certains organismes comme les centres d’entrepreneuriat proposent des initiatives (Hub culturel et autres). 

Le chercheur s’est également intéressé à l’impact et au potentiel du télétravail sur les régions rurales francophones en contexte minoritaire. Il a découvert que, depuis la pandémie, l’arrivée de télétravailleurs freine le déclin démographique de certaines régions des Maritimes.

Cela contribue à une croissance, supérieure à la moyenne canadienne, particulièrement à Moncton, à Halifax et dans l’Île-du-Prince-Edouard.

C’est ainsi qu’il y a désormais « plus de télétravail à Halifax (27%) que la moyenne canadienne (24%)», soutient le professeur en économie de l’Université de Moncton, Pierre-Marcel Desjardins. Son analyse montre aussi que le télétravail est cependant plus populaire dans les centres urbains (région de Moncton et du sud du Nouveau-Brunswick). 

Reste que « tout le monde ne peut pas travailler à distance. Les arts et la culture, les sciences naturelles et appliquées, et le monde des affaires et de la finance, travaillent de la maison en plus grande proportion », ajoute-t-il.

Les entreprises régionales de la Nouvelle-Écosse opèrent plus généralement dans des secteurs primaires (pêche, construction navale) rendant impossible le télétravail. La venue de professionnels, souvent plus aisés, vient cependant stimuler cette autre forme de travail à distance.

Cela pousse aussi les communautés à développer des services – comme une couverture internet plus robuste ou des espaces temporaires pour télétravailler. 

« Il y a des réalités nouvelles, comme la conciliation travail-famille. Car ici, les gardiens des enfants, ce sont les grands-parents. Cela doit pousser les institutions et les entreprises à y répondre, car ça permet de retenir les jeunes », ajoute le chercheur. Les institutions francophones, comme les universités, doivent aussi prendre leur place pour répondre à ces nouveaux besoins.

Bref, la montée de cette forme de travail et la croissance démographique qu’elle entraîne, forment deux moteurs au développement économique actuel de certaines régions. Une bénédiction à laquelle il faudra s’ajuster, malgré des inconvénients en matière d’accès au logement.

« C’est la rançon de la gloire. Depuis une décennie, avec le déclin démographique, on peinait à trouver de la main-d’œuvre, alors on a besoin de cette nouvelle population, même s’il y a un coût transitoire à payer », note Pierre-Marcel Desjardins.

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