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Et puis, vous êtes-vous laissés entraîner, comme moi, dans les aventures de ces deux comparses pendant vos vacances des Fêtes? Maîtrisez-vous maintenant la thermodynamique sur le bout des doigts? Avez-vous été ébloui une fois de plus par la précision de la démarche scientifique de ce cher Holmes ? Et qu’avez-vous pensé de ce portrait amusant du jeune Einstein?

À vos claviers! Dites-nous ce que vous aimez… ou non de ce roman. Et votre analyse à celle de notre expert Jean-François Chassay!

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Dans Einstein et Sherlock Holmes, Alexis Lecaye met en scène le héros de Conan Doyle et un jeune Einstein – nous sommes en 1905, l’année où naît sa réputation. Dans ce roman, un groupe de savants, qui forme une espèce de secte, travaille depuis des années à l’invention d’une machine pouvant créer un mouvement perpétuel – ils se sont donné le nom de « Perpetuum Mobile ». Deux d’entre eux sont assassinés d’une manière sadique qui dénote de sérieuses connaissances scientifiques de la part du meurtrier. Par qui, pourquoi? Holmes sort de sa retraite pour résoudre cette affaire. Fouillant au bureau des Brevets pour trouver des pistes à partir d’éventuels projets déposés par les membres de Perpetuum Mobile, il rencontre le jeune Einstein.

L’image stéréotypée du scientifique est évacuée de ce roman : vieil homme austère à la poursuite d’une Vérité qui suit une tradition respectable. On peut supposer que la description d’une bande de facétieux jeunes gens, menée par le rondouillard et dynamique Einstein, n’est pas plus conforme à la réalité.

Admettons qu’il s’agit là de la perception de Holmes – peu porté pourtant aux dichotomies faciles, lui qui est reconnu pour sa découverte des détails que personne ne perçoit. Il reste qu’en refusant de représenter le scientifique en vieil homme silencieux, Lecaye rappelle que la science, contrairement à une (autre) idée reçue, est de l’ordre du discours. Ce qui signifie, à un niveau élémentaire, que les scientifiques se parlent.

On ne s’étonne pas que ce soit le scientifique le plus entendu du XXe siècle qui fasse les frais de la démonstration. Les nombreux dialogues entre Holmes et Einstein rappellent également que, de tout temps, le dialogue, de Bruno et Galilée à Feyerabend a marqué les œuvres de sciences ou de réflexions philosophiques sur les sciences.

L’auteur met aussi en scène l’insatiable curiosité d’Einstein, qui s’exprime d’abord face aux méthodes de Holmes : « Ce qui m’intéresse, docteur Watson, ce n’est pas le crime en lui-même, mais d’observer votre ami, de suivre le processus par lequel il construit la théorie à partir des faits qu’il sélectionne… » (143)

Le développement de théories scientifiques, pour le physicien, ne naît pas seulement de ce qui s’acquiert en laboratoire, mais plus largement d’une compréhension rationnelle du monde, à partir de l’ensemble de la connaissance, incluant ce qui a priori ne paraît pas à strictement parler d’ordre scientifique. Holmes dira d’Einstein et de ses collègues : « J’avais, pour la première fois, le bonheur de rencontrer des êtres plus intéressés par les principes et l’enchaînement du raisonnement que par les résultats proprement dits et les détails spectaculaires. » (98)

Bien qu’il ne participe qu’indirectement à l’enquête, les connaissances d’Einstein permettront de résoudre l’énigme en donnant à Holmes l’occasion de développer certaines de ses intuitions. En revanche, ce sont les préceptes méthodologiques de Holmes qui le conduiront à penser la théorie de la relativité. « N’est-ce pas vous, dit-il à Holmes, qui avez dit que lorsque vous avez éliminé tout ce qui est impossible, il ne reste plus que la vérité, quelque improbable qu’elle apparaisse? » (222-223)

Un duel amical sur le plan de la logique oppose Holmes à Einstein, décrit comme un personnage sympathique, plein d’humour, d’une intelligence remarquable et qui complète le travail déductif du détective, travail présenté par Watson d’une manière qui rappelle justement les méthodes qu’on attribue au physicien : « Comment lui expliquer que Holmes, contrairement aux autres hommes [...], avançait par bonds, que sa pensée brûlait les étapes, qu’il se souciait peu de nous laisser en chemin, nous autres qui ne disposions pas de ses dons? » (144).

Tout naturellement, le physicien est associé à Sherlock Holmes, le détective symbolisant le roman policier dit « à énigme » ou de la « chambre close ». C’est bien la résolution d’une énigme à partir d’une réflexion objective, reposant sur des faits empiriques, qui caractérise ce type de roman, qu’on peut lier naturellement à la pensée scientifique telle qu’elle est traditionnellement perçue.

Mais l’originalité d’un détective comme Holmes, comme d’un physicien de la trempe d’Einstein, ne peut se limiter à une subtile compréhension des faits : il faut aussi une imagination qui permette de poser des hypothèses ne venant à l’esprit d’aucun autre enquêteur. « Depuis que je suis enfant, je me suis toujours demandé ce que verrait un observateur qui se déplacerait le long d’un rayon lumineux, et à la même vitesse que ce rayon. Comment le verrait-il? » (223) Cette question, célèbre dans la mythologie einsteinienne, le physicien se l’est réellement posé dès l’âge de 16 ans. Bien des réflexions qui conduiront à ses découvertes futures partent de là. Parmi les phénomènes récurrents de l’histoire des sciences, il y a celui des faux savants affirmant que les académies scientifiques sont trop conservatrices pour comprendre la dimension révolutionnaire de leurs recherches. Lecaye démontre au contraire avec Einstein que les véritables révolutions scientifiques, les ruptures, malgré ce qu’elles remettent en cause, finissent par transformer l’institution. Dans ce roman où les bolchéviques sont omniprésents à Berne, Einstein apparaît plus subversif que quiconque, comme le note Holmes : « Et vous soutenez toujours que vous n’êtes pas un révolutionnaire nihiliste? Si par extraordinaire vous avez raison, ce que vous faites est sans doute beaucoup plus dangereux que toutes les théories [des terroristes]. » (257)

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