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David Shiffman est un biologiste marin spécialisé dans la sauvegarde du requin. Parce qu’il aime beaucoup la vulgarisation, on ne s'étonne pas de le voir bloguer et twitter sous l'étiquette @WhySharksMatter. Mais ses efforts pour faire comprendre au public l'importance du requin sont contrecarrés ces dernières années par la chaîne de télé Discovery. Une chaîne qui, en ces occasions, donne une mauvaise, très mauvaise image, du journalisme scientifique.

On connaît moins, en français, la « Shark Week » qui, au début d'août, met en scène l'animal apparemment préféré de Discovery: le requin. Frissons garantis. Et ça marche: 53 millions de téléspectateurs l'an dernier, un sommet pour cette chaîne spécialisée. La semaine est devenue une tradition, depuis 1988.

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Ce n'est pas que TOUT y soit mauvais. Shiffman et ses collègues du blogue collectif Southern Fried Science lui trouvent même des points positifs —dont celui, non négligeable, d'accroître l'intérêt du public pour cet animal menacé d'extinction. Mais ce qui est mauvais est TELLEMENT mauvais qu'il entraîne tout le reste dans les abysses de la stupidité.

Prenez par exemple le mégalodon, ce requin géant disparu depuis des millions d'années. Disparu? Pas pour le documentaire qui a constitué le point d'orgue de la Semaine du requin 2013: «Megalodon: the monster shark lives». Documents d'archives, un biologiste marin sur sa piste, Collin Drake, une queue de baleine apparemment arrachée par ce prédateur géant, et la pièce maîtresse: un chalutier déchiqueté alors que, vidéo à l'appui, il semblait être aux trousses du mégalodon. Une suite a été diffusée cette année.

Sauf que le chalutier n'a jamais existé. Les documents d'archives étaient des faux. Et Collin Drake, un acteur.

Discovery a fait apparaître —pendant 3 secondes!— cet avis à la toute fin, qui n'a pas amélioré sa réputation :

Aucune des institutions ou agences qui apparaissent dans ce film ne lui sont affiliées, ni n'ont approuvė son contenu. Bien que certains événements ou personnages aient été dramatisés, les observations [du mégalodon] se poursuivent à ce jour. Le mégalodon était un véritable requin. Les légendes de requins géants demeurent partout dans le monde. Il subsiste un débat sur ce qu'ils peuvent être.

Mégalodon a attiré 4,8 millions de spectateurs, la plus haute cote d'écoute de la semaine, et de l'année, pour Discovery. Selon un sondage mené après la diffusion, 79% de ceux qui ont écouté, y ont cru.

Il y a eu encore plus dommageable pour la réputation des recherchistes de la chaîne: selon un reportage publié par Shiffman dans le magazine io9, ils ont menti à leurs sources. Un agent de conservation travaillant dans le Golfe du Mexique, Jonathan Davis, y raconte avoir accepté de collaborer avec une équipe de tournage « intéressée par les requins en Louisiane »:

J'ai demandé à quelques-uns des membres d'équipage, incluant le réalisateur, ce que serait le thème de l'émission. Je n'ai jamais eu de réponse claire... On m'a juste dit que je serais associé à un autre tournage afin de faire une émission complète sur la recherche sur les requins en Louisiane.

Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir, en août 2013, que l'émission s'appelait Voodoo Shark, qu'elle portait sur un monstre mythique vivant soi-disant dans les bayous de Louisiane, et que les autres tournages avaient été faits avec des pêcheurs dans ces bayous. Avec un montage donnant l'impression d'une course, entre ces pêcheurs et l'équipe de Jonathan Davis, à qui capturerait le monstre du bayou le premier!

Bref, c'est à se demander si, en plus de nuire à la perception du requin, Discovery ne contribue pas aussi à nuire à la perception qu'on a du... journaliste scientifique. Dénoncer Discovery comme le font ces biologistes ne fera pas virer de bord plusieurs des 53 millions d'auditeurs. Et ça ne convaincra pas non plus beaucoup de biologistes d’encourager le journalisme scientifique de qualité, puisque plusieurs sont du coup confortés dans leur conviction que le journalisme scientifique de qualité, ça n'existe pas.

Autrement dit, on peut se demander si la Shark Week nuit davantage qu’elle n’aide à la survie des requins... et du journalisme scientifique. Qu'en pensez-vous?

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