D’une part, notre prise de conscience de la plus grande popularité des fausses nouvelles venait de recherches qui, en comparaison, étaient d’une ampleur limitée : par exemple, ces reportages journalistiques du magazine BuzzFeed qui, en 2016, avaient comparé la portée Facebook de nouvelles, vraies et fausses, pendant la campagne électorale américaine. La recherche parue cette semaine, elle, couvre 10 ans, compare le « poids » de 3 millions de comptes Twitter, et plus.
Du coup, cela replace cette explosion des fausses nouvelles qui nous occupe depuis 2016 dans un contexte plus large. Parce qu’à l’évidence, la crise des fausses nouvelles, ce n’est pas une crise de l’ère Trump.
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Il vaut la peine de le rappeler, cette crise constitue une tendance de quelques décennies qu’on a longtemps sous-estimé:
- des décennies de désinformation scientifique financées au prix fort (le modèle: la guerre du tabac)
- conjuguées à des décennies à marteler l’ idéologie du « toutes les opinions se valent »
Ces deux facteurs ont contribué au marécage dans lequel nous pataugeons aujourd’hui. Un mélange de riches propagandistes et de penseurs naïfs ont contribué à faire percevoir au public la science comme étant une simple accumulation d’opinions: la vaccination, le réchauffement climatique voire la Terre plate? « Votre opinion vaut la mienne » puisque les scientifiques ne sont qu’un establishment comme un autre.
À ces deux facteurs, il faut ajouter, au cours des dernières décennies, un recul du journalisme en général et du journalisme scientifique en particulier. Au profit de relations publiques de mieux en mieux financées, et de nouveaux outils de communication arrivés au bon moment pour nous convaincre que « tout le monde peut être un média ».
Tout ce qui précède, on l’a écrit plusieurs fois sur notre site depuis 10 ans, mais ça fait plaisir de le lire dans des mots forts de Divina Frau-Meigs, de l’Université Paris-Sorbonne, citée cette semaine par le collègue Sylvestre Huet, en réaction à cette étude parue dans Science.
L’effet le plus grave de la diffusion massive du faux, c’est de répandre un doute généralisé sur l’information, les institutions démocratiques, les savoirs scientifiques… Si tout est faux, la science aussi, on en voit le résultat avec les débats sur la vaccination ou le climat. Ne plus pouvoir faire confiance à une information vraie génère une atmosphère malsaine, susceptible de miner tout projet démocratique qui suppose une confiance.
Ça signifie que cette tendance à long terme qui évoluait depuis des décennies à l’écart des écrans radar nous explose à présent en plein visage : oui, les fausses nouvelles sont plus populaires que les vraies et, oui, nous avons manqué le bateau de la lutte à la désinformation pendant tout ce temps.
Pistes de solution ? Évidemment, comme l’écrit Huet, « renforcer les capacités critiques des individus » est un préalable, ce qui est le rôle des Détecteurs de rumeurs de ce monde. Mais plus largement, il va falloir inscrire cela dans une volonté « d’éducation aux médias » — ce n’est pas tout de dire que telle et telle information à saveur scientifique est fausse, encore faut-il que le simple citoyen apprenne pourquoi toutes les opinions n’ont pas une valeur égale.
Davantage de recherches comme celle parue cette semaine constitue une deuxième piste de solution : avec les bases de données accumulées par les géants d’Internet, on dispose d’une quantité astronomique d’informations dont n’auraient jamais rêvé les sociologues qui, il y a 10 ans, se demandaient comment contre-attaquer la propagande climatosceptique. C’est avec l’aide de ce genre de recherches qu’on pourra mieux cibler les stratégies de lutte à la désinformation : un souhait qui était également exprimé par le réseau international des médias vérificateurs de faits lors de son congrès Global Fact auquel j'assistais l'an dernier.
Par-dessus tout, il va falloir davantage de journalistes, et ça urge. Parce que c’est le rôle des journalistes que de démontrer que la déclaration est fausse, que les points d’exclamation sont exagérés, que la croyance mérite des bémols. Si vous vous demandez pourquoi le journalisme est plus difficile à financer, c’est pour ça: il sera toujours moins populaire que les fausses nouvelles. Mais plus indispensable que jamais à l’heure des fausses nouvelles.