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À partir d’exemples tirés de blogues personnels sur le cancer, les auteurs de l’article Living with cancer. Affective Labour, Self-expression And The Utility of Blogs , McCosker et Darcy (2013), ont fait une étude de cas qualitative particulièrement intéressante qui explore les notions de l’«intimité publique», l’aspect thérapeutique de la démarche, la dimension relationnelle du réseautage et les impacts de cette communication sur la compréhension de la maladie au quotidien pour les proches et la société en général.

Il s’agit, pour les auteurs, d’une forme de gestion non institutionnelle de maladies graves, dont la plateforme du blogue joue un rôle central.

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En effet, si l’expérience d’écrire sur la maladie, ses dimensions sociales et, en particulier, le besoin personnel pour le patient gravement malade d’écrire à ce sujet ont déjà été auscultées (Frank 1995; Charon 2006), il y a une spécificité dans l’activité de tenir un blogue en ligne qui mériterait une plus grande attention :

« … blogs have been adopted by individuals experiencing serious, chronic and life-threatening illness as a way of documenting and sharing experiences, exploring treatment options, and connecting with others who have knowledge or experience with the illness » (McCosker 2008).

Partager une « intimité publique »

Même si, d’emblée, le blogue évoque un usage classique du journal intime où sont consignées des réflexions personnelles, la nature publique d’Internet crée un contexte de communication très différent.

En effet, Kitzman (2004) désigne ce phénomène par les termes networked public intimacy et connected privacy dont la communication de contenus intimes est directement liés à l’utilisation des outils et plateformes du Web 2.0. Elle suggère également que c’est précisément cette diffusion à large échelle qui donne un sens à cette pratique pour les patients-blogueurs : « it is a community, or at least the illusion thereof, that keeps online self-documentation meaningful to its many practitioners » (Kidzman, 2004, p.92)

Ces nouvelles formes d’expression en ligne ébranlent la définition et la catégorisation entre la vie privée et la sphère publique, ce qui marquerait « des avancées allant dans le sens d’un mouvement de démocratisation de la parole populaire » (Cardon 2012 dans Proulx et Breton, 2012, p. 321).

Un travail affectif (affective labor) au-delà de la démarche thérapeutique

Quel intérêt pour ces patients à se lancer dans ce projet alors qu’ils doivent mobiliser leurs énergies pour faire face à la maladie ? La première raison décrite par les auteurs McCosker et Darcy (2013) pour se lancer dans l’édition d’un blogue qui documente son état de santé, c’est le besoin perçu par le patient de mieux gérer son propre réseau social, de partager ses expériences et de l’information avec la famille et les amis, sans avoir à répéter à plusieurs personnes, au courant d’une même journée, ce qu’il vit. Le patient estime donc, dans un premier temps, y trouver un avantage personnel, un gain de temps.

Cependant, il semble que d’autres raisons interviennent en cours de route, car les auteurs soulignent que les blogues sur le cancer sont souvent tenus pendant de nombreuses années. Comment les auteurs de ces blogues comprennent-ils et expliquent-ils ce travail de maintenir un blogue sur la maladie sur une longue période de temps? Il apparaît que cette activité doit réellement détenir une signification importante, puisqu’il arrive parfois que les blogueurs soient littéralement au seuil de la mort, trop fatigués pour marcher, pour parler, se nourrissant à peine et, pourtant, pour une multitude raisons, le « travail affectif » de bloguer occupe une place prioritaire (McCosker et Darcy, 2013).

Car il s’agit bien de travail; toute forme d’expression (self expression) nécessite un niveau de performance et de construction (Miller et Taylor 2006; McCosker 2008). Par ailleurs, Arthur Frank (1995, p.3) a documenté ce besoin irrépressible de dire la maladie, de se raconter : « the need of ill people to tell their stories, in order to construct new maps and new perceptions of their relationships to the world ». Il s’agit d’une motivation intrinsèque, une composante clé de ces récits de vie qui ne sont pas seulement à propos du corps malade, mais qui « donnent à voir » l’expérience de la maladie à travers le corps (Frank, 1995).

En outre, le fait d’éditer un blogue permettrait une certaine appropriation de pouvoir (empowerment) pour le patient :

«… the Internet holds promise, as it can serve as a communication medium for individuals sharing information and emotional support about cancer, empowering cancer information consumers to act as a competent social actors, and allowing them to become increasingly involved in their own health care (Chung and Kim, 2008, p. 297) ».

La dimension relationnelle de la communauté créée par le biais du blogue

Si le patient-blogueur est plus impliqué dans ses soins et développe le sentiment d’être un acteur social compétent, à qui s’adresse ce savoir expérientiel articulé sur le blogue? Les auteurs font état d’une forme d’«emotion management» adressée à une famille « élargie » à la société, dans un contexte où les liens familiaux du sang se sont atténués. La communauté ainsi créée autour du blogue pourrait, d’une certaine façon, jouer ce rôle de « famille », en plus d’abolir des barrières géographiques. Alors que le soutien affectif accessible par le biais du réseau de la santé est de plus en plus individualisé, le blogue jouerait donc un rôle important à l’extérieur des institutions :

«… cancer blogging operates between individual experience and the formation of networks through the publication of personnal experiences, traversing intimate expression and institutionnal knowledge about drugs, therapies, treatment options and medical practice. » (Johnson 2010 dans McCosker et Darcy 2013 )

Ainsi le travail d’articulation du savoir expérientiel pour le patient-blogueur trouve sa véritable consécration dans la diffusion et les interactions qu’elle génère sur son blogue : « truth of [illness] stories is not only what was experienced, but equally what becomes experience in telling and its reception » (Arthur Frank, 1995, p. 221).

Communiquer son expérience pour une meilleure compréhension de la maladie

Les auteurs McCosker et Darcy rapportent également que plusieurs patients-blogueurs sont régulièrement sollicités pour prendre la parole, livrer leur message, témoigner de leur expérience dans le cadre de différentes tribunes : événement caritatif, témoignage dans un magazine, à la radio ou à la télévision, colloque, etc. Dans certains cas, les blogues sont si populaires qu’ils sont devenus des instruments de sensibilisation et même d’outils de levées de fonds pour différents organismes.

Ces activités de communication permettraient une meilleure compréhension de l’impact de la maladie sur la vie des patients et celle de leur entourage qui peut être utile aux professionnels de la santé.

Ce texte a d'abord été publié sur le site Communication santé 2.0

Sources et références

Charon R. (2006). Narrative medicine: honoring the stories of illness. New York, NY: Oxford University Press, Cary, NC, USA

Chung, D.S. et S, Kim (2008). Blogging activity among cancer patients and their companions : uses, gratifications and predictors of outcomes, Journal of the American Society for Information Science and Technology, vol. 59, no.2, pp. 297-306

Frank, A. (1995). The Wounded Storyteller : Body, Illness and Ethics, University of Chicago Press, Chicago.

Kitzman, A. (2004). Saved from Oblivion : Documenting the Daily from Diaries to Web Cams, Peter Lang, New York.

McCosker, A. (2008). Blogging illness : recovering in public [Online], M/C Journal, vol. 11, no. 6.

McCosker, A, et R, Darcy (2013). Living with cancer. Affective Labour, Self-expression And The Utility of Blogs Information, Communication and Society, 16 :8, 1266-1285, DOI : 10.1080/1369118X.2012.758303

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