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Ces universités, parmi les plus vieilles du monde, ont été fondées au moment où on redécouvrait Platon et Aristote. C'est en songeant à ceux-ci que le sujet de cette semaine m'est venu. J'y reviendrai la semaine prochaine en discutant les travaux d'un jeune chercheur de Cambridge, Jonathan Doye.
Le monde, selon Platon, était basé sur 5 solides parfaits, dominé par des lois exigeant une construction géométrique et élégante. Plus de 2000 ans plus tard, nous savons que la nature qui nous englobe (car nous en faisons également partie) est beaucoup plus complexe et qu'elle supporte, et même souvent préfère, le chaos à l'ordre. Désordre ne veut pas dire désorganisation, toutefois, et les règles à la base de notre monde, les lois de la physique, respectent l'idée fondamentale de Platon : l'univers est dominé par des lois simples qui peuvent être décrites par mathématiquement. Tout comme dans le modèle de Platon, la géométrie, un peu modernisée, bien sûr, reste un ingrédient essentiel de ces lois, sous la forme de symétries particulières à respecter.
Prenons un cube, par exemple. Si on le fait tourner, autour de son centre, par 90 degrés le long d'un de ces côtés, on se retrouve avec exactement la même vue du cube. Un observateur qui aurait perdu de vue ce cube durant une fraction de seconde ne pourrait dire si on l'a fait tourner ou non. De même, si on lui présentait non le cube, mais son image-miroir, cet observateur ne pourrait faire la différence. Un cube respecte donc un certain nombre de symétries; une sphère, encore plus! Nous ne sommes plus limités à des rotations de 90 degrés. Toute rotation autour de son centre laisse la sphère inchangée. Il est donc possible de différencier une sphère d'un cube en vérifiant les symétries préservées.
Les lois de la physique doivent respecter les symétries d'une sphère : peu importe l'orientation de deux objets, seuls dans l'Univers, ils subiront la même attraction gravitationnelle, un vers l'autre. Elles respectent aussi « l'invariance sous translation ». Les lois de la physique sont indépendantes également de la position de ces deux objets dans l'Univers. C'est en étudiant ces symétries et quelques autres, par exemple, qu'on a pu montrer que les équations de Newton étaient incomplètes, ouvrant la voie à la théorie de la relativité générale développée par Albert Einstein et terminée en 1916.
Le problème original est apparu avec la description, par James Clerk Maxwell, des lois de l'électromagnétisme, décrivant dans une série de 4 équations, toute la physique électrique et magnétique, incluant la lumière. Étudiant ces équations, les physiciens d'alors s'aperçurent rapidement que la nature physique des systèmes étudiés changeait si on ajoute une vitesse constante à ceux-ci, par rapport à un système de référence. Les équations de Maxwell ne respectaient donc pas une symétrie fondamentale de la physique : les lois de la physique à l'intérieur d'un système sont indépendantes de sa vitesse. Par exemple, que l'on soit dans un train rapide ou sur terre, une pomme tombera de la même façon, bien que l'on ne se déplace pas à la même vitesse, pourvu que, dans les deux cas, la vitesse soit constante.
Il s'avère que les équations de Maxwell indiquent que les lois changent lorsque la vitesse d'un système devient très grande, proche de la vitesse de la lumière. Pour résoudre ce problème, il fallait changer la règle et introduire des équations de manière ad hoc, ce que firent Lorentz et Poincaré. Ces équations introduisaient une distorsion de l'espace et du temps lorsqu'un système allait à très grande vitesse, causant des mots de tête aux physiciens d'alors, qui ne savaient que faire de distorsions allant des règles de symétrie. Il fallut la lucidité et la témérité d'Albert Einstein pour retourner le problème complètement : ces distorsions de l'espace étaient bien vraies et la symétrie exigée jusque-là, dite invariance galiléenne, fausse. Il fallait donc revoir l'interprétation de ces transformations, ce que fit Einstein en créant la théorie de la relativité restreinte. Si cette théorie satisfait pleinement aux exigences et aux symétries des équations de Maxwell, lorsqu'un objet se déplace à vitesse constante, elle n'intègre pas les lois de Newton, qui traitent des objets dont la vitesse change sous l'effet d'une force (gravitationnelle ou autre). Convaincu que la nouvelle symétrie, associée avec la dilation du temps et la contraction de l'espace, était la bonne, Einstein se mit donc en frais de modifier les équations de Newton, montrant que l'existence même du temps et de l'espace dépendent de la présence de la matière et développant une des théories les plus élégantes qui existent à ce jour, la théorie de la gravitation universelle.
Si l'on a depuis longtemps abandonné l'idée que les solides de Platon jouent un rôle quelconque dans la structure de l'Univers, le concept de symétrie a retrouvé sa place, depuis plus d'un siècle au coeur de la physique contemporaine. Ces symétries ne sont pas toutes aussi faciles à voir que celles associées avec les solides de Platon, mais elles demeurent incontournables : toute théorie qui ne les respecte pas est rejetée sur-le-champ. Mieux encore, les modèles mathématiques devant servir à une théorie du tout sont construits à partir des symétries. On espère que les lois de la physique qu'on connaît aujourd'hui apparaîtront naturellement, contraintes par les symétries de notre monde. Il n'est pas certain qu'on réussisse, mais si c'est le cas, Platon aura bien gagné sa revanche!