Cette semaine, je retourne à la science, après les congés de Pâques. Dans la revue Nature du 13 avril, un groupe de chercheurs de la Pennsylvania State University présente une expérience quantique d'un état tout simple, mais qui refuse d'atteindre l'équilibre, formant une sorte de pendule de Newton quantique.

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(Pour les images et quelques films, je vous invite à voir la page du communiqué de presse : http://www.science.psu.edu/alert/Weiss4-2006.htm )

La tendance à l'équilibre est une propriété fondamentale des systèmes physique : laissé assez longtemps à lui-même, tout objet ou ensemble d'objets atteindra toujours l'équilibre.

Pour bien comprendre le paragraphe précédent, il faut définir ce qu'on entend par équilibre. Dans sa version la plus simple, l'équilibre implique que le système d'intérêt est à la même température que son environnement. En fait, que toutes les parties de ce système soient à la même température. Cet équilibre thermique est une condition minimale; elle n'est pas suffisante, toutefois. Ainsi, à la température de la pièce, la structure à l'équilibre du carbone est le graphite, une substance noire qui s'effeuille facilement et qu'on retrouve dans les mines de crayons, par exemple. Le diamant, qu'on retrouve bien serti dans une bague, est certainement en équilibre thermique avec son environnement, mais en équilibre structural : si on attendait assez longtemps, c'est-à-dire plusieurs fois l'âge de l'Univers, cette caboche se transformerait en graphite, perdant du même coup son intérêt.

Si on connaît l'existence de plusieurs systèmes difficiles à équilibrer structurellement (je développe d'ailleurs des algorithmes dont le but est d'accélérer la convergence vers l'équilibre de ces systèmes), l'équilibre thermique est quelque chose de bien acquis.  Dans la plupart des cas, il suffit de quelques collisions seulement pour qu'un atome atteigne l'équilibre avec ces voisins.

L'exception qui confirme la règle est en une dimension. Considérons, par exemple, le pendule Newton (voir cette animation).  Si les billes étaient parfaites et qu'il n'y avait pas de dissipation, alors il y aurait toujours un nombre fixe de billes arrêtées complètement (à « température » nulle) tandis que les autres se promènent à une température finie. En d'autres mots, un pendule de Newton parfait ne pourrait jamais atteindre l'équilibre.

C'est un système de ce type que les chercheurs Toshiya Kinoshita, Trevor Wenger et David Weiss ont réussi à créer. En gros, ces chercheurs ont réussi à piéger entre 40 et 250 atomes de rubidium sur un rail de lumière très fin qui ne laisse passer qu'un atome à la fois, utilisant des techniques de piégeage optique développés depuis une vingtaine d'années. Les atomes ne peuvent donc que rebondir sur leurs voisins, tout comme les billes du pendule de Newton. Sauf que dans le monde quantique, il n'existe pas de dissipation et les quelques centaines d'atomes du dispositif refusent d'atteindre l'équilibre thermique, même après plusieurs milliers de collisions.  

En fait, ce n'est pas tout à fait vrai. Dans le monde quantique, les atomes ne sont pas comme des billes de métal, ce sont plutôt des « paquets d'ondes », un peu comme des gouttelettes d'un liquide exotique.  Durant la collision, les atomes pénètrent donc un dans l'autre, ce qui peut permettre à des électrons de changer d'état, dissipant de l'énergie en émettant de la lumière. Or, il semble que si les atomes sont projetés initialement à grande vitesse, ils n'ont pas le temps de vraiment s'allier aux atomes voisins et conservent donc toute leur énergie, formant un pendule de Newton quantique parfait.

Voilà donc une expérience très élégante et difficile à réaliser. Mais pourquoi en parler? Tout d'abord, on touche ici aux fondements de la mécanique quantique, cette description d'un monde physique qui nous paraît encore aujourd'hui 80 ans après sa découverte, mystérieuse. Toute nouvelle observation expérimentale nous permet donc de tester à la fois cette théorie et notre compréhension de celle-ci.  Il ne s'agit pas de « briser » la mécanique quantique — les physiciens s'attendent à ce qu'on puisse expliquer ce phénomène à l'intérieur de la théorie actuelle, mais vraiment de sonder ses mystères, tout comme le pendule de Newton classique nous permet de mieux comprendre les lois formulées par ce grand physicien.

Je ne sais pas vers quoi cette découverte mènera, mais il est toujours fascinant de voir qu'on peut trouver de nouveaux phénomènes si élégants et pourtant encore inexpliqués avec des appareils tellement compliqués. Aux théoriciens maintenant de se mettre au travail.

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