Après Saskatoon et deux semaines à Montréal, me voici pour quelques jours à Cambridge, en Angleterre, où je participe à un mini-congrès d'une cinquantaine de participants, qu'on appelle aussi atelier, sur l'ordre à l'échelle nanométrique dans les verres et les matériaux amorphes. Oui, je sais, un tel titre a de quoi faire peur à la plupart des humains. Le thème est pointu, mais ça ne veut pas dire qu'il est inintéressant ou impossible à comprendre pour le non-spécialiste.

Continuez à lire, vous verrez bien....

Les verres sont des matériaux fascinants. Ils sont formés en refroidissant rapidement un liquide, afin de geler les atomes en place et d'éviter qu'ils ne forment un cristal. Bien que pas tout à fait un liquide, car les atomes sont presque immobiles, la structure d'un verre est donc désordonnée ce qui lui confère des propriétés particulières. Ainsi, on peut donner au verre la forme que l'on veut, car elle n'est pas limitée par les symétries qu'on rencontre dans les cristaux, ce qui permet, par exemple, construire des miroirs astronomiques avec une courbure définie à l'atome près.

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Le verre n'est pas une substance rarissime qui n'existe que dans les labos des profs de physique. Au contraire, on le trouve partout autour de nous. On connaît tous le verre à vitre, qui nous accompagne depuis plus de 2000 ans, ainsi que les verres à lunette, par exemple, deux types de verres à base de silice, un mélange de silicium et d'oxygène qui forme également le sable. Il y a aussi les verres de cuisson, le pyrex, par exemple, qui peut soutenir sans craquer des changements de température brusques. Ce verre est un peu plus complexe et contient de la silice et du bore. Mais ça ne s'arrête pas là! Il y a, par exemple, le verre à DVD.

Les DVD, vous connaissez certainement. Ces disques existent sous deux formes : les DVD inscriptibles une seule fois et ceux qu'on peut effacer à volonté. Ces derniers préservent nos films maison, nos photos ainsi que les sauvegardes de nos ordinateurs et peuvent être réécrits des dizaines de milliers de fois sans aucun problème. Ça peut sembler normal, mais il s'agit d'un véritable tour de force. Une pile de téléphone ou d'ordinateur peut être rechargée quelques centaines de fois seulement avant de mourir. Et encore, elle perd rapidement son efficacité première. Un disque compact (CD) réinscriptible, quant à lui, deviendra totalement illisible après seulement une dizaine d'effaçages. Qu'est-ce qui rend le DVD si différent?

La partie utile d'un DVD réinscriptible est formée d'une mince couche composée d'un alliage de trois éléments, qu'on appelle GST: le germanium (Ge), l'antimoine (Sb) et le tellure (Te). Cette fine couche est « gravée » par un rayon laser qui transforme les bits, lorsque nécessaire, de zéro à un. Le disque est ensuite lu par un autre faisceau laser, moins puissant, qui est réfléchi différemment par les régions en zéros et en uns. Cette partie est bien comprise par les ingénieurs qui ont développé le DVD. Ce qu'on ignore encore est la nature du changement structurale du composé GST. Le changement de propriétés optiques de chaque bit implique une modification de la structure au niveau atomique. Ce changement n'est pas quelque chose de nouveau, on utilise des procédés photosensibles dans beaucoup de processus de fabrication de matériel électronique. Toutefois, ce qui est unique est que le changement structural associé avec la gravure est parfaitement réversible : en appliquant un champ électrique ou un laser plus fort, on peut ramener tous les bits à zéro, permettant de recommencer la gravure.

Le GST peut donc passer, localement et de manière réversible, d'un état structural à l'autre sans se briser. Or, plus les recherches avancent, plus il semble qu'au moins une des deux phases est vitreuse. Le processus de gravure à forte énergie ferait passer le GST de l'état cristallin à vitreux, et un faisceau laser à énergie moyenne permet d'effacer toute l'information en renvoyant le matériau dans son état cristallin. Puisque les DVD sont en vente depuis longtemps, il n'y a pas grand intérêt à comprendre ce phénomène, à tout le moins de la part des compagnies manufacturières. Toutefois, on s'est aperçu que ce genre de matériau pouvait aussi servir pour remplacer les mémoires flash. Cette découverte a lancé des dizaines de groupes à travers le monde sur la piste du GST : le marché des mémoires flash vaut plusieurs milliards de dollars par année et ça ne peut que s'améliorer. Les mémoires GST ont l'avantage qu'il ne faut appliquer aucun potentiel pour garder l'information, ce qui permettrait de diminuer la consommation des appareils électroniques portatifs. Toutefois, la vitesse de passage de l'état cristallin à l'état vitreux, et vice-versa, est encore un peu trop lente, de l'ordre du dixième de microseconde. La course est donc engagée pour trouver la composition magique qui permettra de dominer le marché de la mémoire. Les approches varient, bien sûr. D'un côté, les ingénieurs, qui se contentent de tester de nouvelles compositions; de l'autre, les scientifiques, qui essaient de comprendre la nature des phases cristallines et amorphes et leur transition. Qui gagnera? Au jeu de la performance, probablement les ingénieurs. Mais, ça ne fait jamais de tort de comprendre...

PS : J'aurais bien transféré ce billet sur le site de Science, on blogue! plus rapidement, malheureusement, je n'ai pas réussi à accéder à Internet durant mon séjour à Cambridge, une des villes universitaires par excellence! Quel paradoxe, n'est-ce pas?

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