Selon de nombreux scientifiques influents, pour espérer atteindre cet objectif, il n’existe au fond qu’une seule solution sérieuse: utiliser à leur plein potentiel les méthodes et technologies mises au point conjointement par la grande industrie agroalimentaire et par la communauté technoscientifique.
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Mais cette solution industrielle, on s’en doute bien, est loin de faire l’unanimité. Même certains spécialistes de l’agroalimentaire la remettent aujourd’hui en question et lancent un avertissement aux décideurs politiques et économiques: l’agriculture industrielle est tout sauf la panacée à laquelle on veut nous faire croire. Et si nous voulons vraiment éviter ce qui pourrait bien être la pire crise humanitaire, sociale et environnementale de l’histoire, il nous faudrait donc envisager rapidement des solutions alternatives.
Industrielle ou écologique — telle est la question
Ce ne sont plus seulement les cercles écologistes et altermondialistes qui doutent aujourd’hui de cette solution du «tout-industriel». Encore récemment, par l’entremise de son rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, l’Organisation des Nations unies (ONU) insistait elle aussi sur l’urgence de procéder à «un changement important dans les politiques [agricoles]» afin d’éviter les grandes «catastrophes alimentaires et climatiques».
Quel type de «changement important» prône donc cet expert de la question agroalimentaire? La réponse se trouve dans son nouveau rapport, Agroécologie et droit à l’alimentation , présenté le mois dernier. Et elle pourra surprendre ceux qui veulent encore voir dans l’agriculture industrielle et intensive la seule solution sérieuse pour faire face à la crise alimentaire. Devant le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l'ONU, M. De Schutter résumait ainsi les conclusions de son rapport :
«Nous ne réglerons pas le problème de la faim [...] en développant l'agriculture industrielle sur de grandes plantations. [...] Si nous voulons nourrir 9 milliards de personnes en 2050, il est urgent d'adopter les techniques agricoles les plus efficaces. Et les preuves scientifiques actuelles démontrent que les méthodes agroécologiques sont plus efficaces [...] pour stimuler la production alimentaire dans les régions où sévit la faim.»
Agroécologie 101
Quelles sont donc ces «méthodes agroécologiques» si efficaces? Dans son rapport, M. De Schutter explique qu’il s’agit notamment du recyclage des nutriments, des eaux et de l’énergie, ainsi que de la revitalisation des sols par la gestion des matières organiques et l’exclusion de tout produit chimique (fertilisant ou pesticide).
«L’agroécologie est à la fois une science et un ensemble de pratiques [...]. Elle résulte de la fusion de deux disciplines, l’agronomie et l’écologie, [...] et vise à améliorer les systèmes agricoles par l’imitation des processus naturels.»
Bref, vous l’aurez compris, dans le jargon onusien, l’agroécologie correspond assez étroitement à ce que nous appelons l’agriculture biologique. Et ce serait donc grâce à cette fameuse agriculture «bio» que nous pourrions, selon l’expert de l’ONU, réussir à relever le grand défi agroalimentaire.
Il ne s’agirait sans doute pas de renoncer entièrement et immédiatement à l’agriculture industrielle, mais d’abord de favoriser la mise en place de ces techniques agroécologiques dans les pays et régions sous-développés, où sévissent déjà aujourd’hui les famines et la malnutrition chronique. Car c’est là que la crise alimentaire mondiale aura ses répercussions les plus graves. Et c’est là aussi que vivront la grande majorité des 2 milliards de «nouveaux humains» qui naîtront d’ici 2050.
Du simple au double
En quoi l’agriculture écologique et durable peut-elle être une solution «plus efficace» pour faire face à la crise alimentaire? Là aussi, les conclusions du rapport de l’ONU ont de quoi surprendre: M. De Schutter y soutient que, toute proportion gardée, les méthodes agroécologiques offrent à moyen et long termes «des rendements beaucoup plus importants» que les techniques conventionnelles de l’industrie agroalimentaire.
À cet égard, le rapporteur spécial de l’ONU cite plusieurs études menées notamment en Asie, en Afrique et en Amérique latine. L’une d’entre elles, particulièrement importante par son ampleur, a été réalisée par des chercheurs de l’Université d’Essex (Royaume-Uni) dans 57 pays en développement. Elle montre que les projets agroécologiques mis en place — sur une superficie totale de plus de 37 millions d’hectares — ont permis une augmentation moyenne des rendements agricoles de plus de 80%, sur une période de 3 à 10 ans. Dans les pays africains participants, les rendements ont plus que doublé, augmentant de 116% en moyenne.
S’appuyant entre autres sur ces chiffres impressionnants, l’expert de l’ONU affirme donc que les techniques agroécologiques, si elles étaient implantées de façon plus systématique, permettraient «de doubler la production alimentaire [...] dans les régions où sévit la faim», et ce, tout en réduisant de manière significative les impacts de l’agriculture sur l’environnement...
La nouvelle panacée ?
L’agriculture biologique serait-elle donc la nouvelle panacée qui permettra à l’humanité de résoudre tous les grands problèmes mondiaux auxquels elle sera bientôt confrontée? À lire le rapport des Nations Unies, on pourrait certainement le croire: augmentation des rendements agricoles et de la production alimentaire, création d’emplois ruraux, développement socioéconomique, réduction de la pauvreté et de la malnutrition, protection des écosystèmes, réduction des émissions de gaz à effet de serre... La liste des effets positifs de l’agroécologie est bien longue.
On comprend alors pourquoi le rapporteur spécial de l’ONU en appelle — ni plus ni moins — à une «transition mondiale» et rapide vers l’agroécologie. Et on comprend aussi comment l’agriculture biologique peut séduire aujourd'hui autant de personnes — producteurs et consommateurs — partout dans le monde.
Mais il faudra probablement en faire davantage pour convaincre les décideurs politiques et économiques d’entreprendre cette «transition mondiale» vers l’agroécologie. Car même à la lecture du rapport de l’ONU, certains doutes subsistent, notamment quant au réalisme de cette solution. Est-ce vraiment cette agriculture écologique et durable qui permettra à l’humanité de relever le grand défi agroalimentaire? Autrement dit: même s’ils étaient beaucoup plus nombreux — et productifs —, les petits producteurs indépendants et fermes «bio» pourraient-ils vraiment fournir des ressources alimentaires suffisantes pour nourrir 9 milliards d’humains? Difficile à concevoir — surtout lorsqu’on sait que 6 de ces 9 milliards d’humains vivront dans de grandes villes et qu’ils dépendront donc d’un système d’approvisionnement extrêmement complexe.
Vers une agriculture « écologiquement intensive » ?
Bref, on imagine assez mal pouvoir se passer complètement de l’agriculture industrielle et intensive pour résoudre la crise alimentaire mondiale. Mais ce qu’on pourrait très bien imaginer — et espérer —, en revanche, c’est non seulement que l’agriculture écologique occupe une place toujours plus importante sur le marché alimentaire mondial, mais aussi qu’elle inspire de plus en plus la grande industrie agroalimentaire dans ses méthodes et pratiques. C’est d’ailleurs peut-être cette «troisième voie» qui, à moyen et long termes, se révélera la plus prometteuse: ce que certains spécialistes proposent d’appeler l’«agriculture écologiquement intensive», qui chercherait donc à conjuguer les forces des méthodes conventionnelles et biologiques.
Difficile à imaginer, ça aussi? En effet. Et c’est sans doute cette difficulté que nous devrons d’abord surmonter pour pouvoir relever le double défi — alimentaire et environnemental — qui nous attend dans les prochaines années. En faisant donc preuve d’imagination. De beaucoup d’imagination.
LCR
HYPERLIEN :
- Vidéo : Olivier De Schutter explique les principaux enjeux du défi alimentaire mondial, lors d'une conférence à Stockholm, en mars dernier.
À LIRE :
- Michel GRIFFON, Pour des agricultures écologiquement intensives , Éditions de l'aube, 2010, 112 pages.
Ce billet a été écrit dans le cadre d'un travail d'équipe pour le cours RED2301 - Problèmes de vulgarisation, donné par Pascal Lapointe, à l'Université de Montréal à la session d'hiver 2011.