Réaliser une analyse du cycle de vie (ACV) d'un bâtiment est un processus qui demande beaucoup de temps et de données. Malgré cela, l’ACV est la méthode la plus reconnue et la plus complète pour estimer les impacts environnementaux. Pour démocratiser et encourager son utilisation à plus grande échelle dans le secteur du bâtiment, il est essentiel de trouver le moyen d’alléger sa réalisation.
Il existe actuellement différentes options disponibles pour optimiser ou simplifier le processus de quantification des impacts environnementaux des bâtiments. Par exemple, CECOBOIS a développé un outil simplifié, GESTIMAT, pour le Québec. L’outil permet de comparer les GES de différentes conceptions de bâtiment. À défaut d’avoir en main le détail des quantités de matériaux composant le bâtiment pour réaliser l’estimation des émissions de GES, l’outil propose de générer les quantités pour vous. Ces quantités peuvent donc être générées pour différentes compositions de matériaux de construction en saisissant uniquement certaines caractéristiques principales du bâtiment ou en détaillant les différents systèmes constructifs que vous désirez inclure à votre modélisation. D’autres outils comme Koten visent à simplifier et accélérer cette quantification en réalisant l’estimation directement à partir d'un modèle 3D du bâtiment, soit de façon intégrée au logiciel, soit en exportant les informations du logiciel vers l’outil d’ACV.
Un autre processus de quantification simplifiée des impacts environnementaux des bâtiments consiste à utiliser les déclarations environnementales de produit (DEP). Connues à l’international, les DEP (ou EPD - Environmental product declaration) sont des documents vérifiés par une tierce partie qui présentent les informations environnementales d'un produit évaluées sur la base d'une ACV. En d’autres mots, dans une DEP, l’ACV du produit est déjà réalisée pour vous. De plus en plus de DEP sont disponibles pour différents matériaux et différentes composantes de construction. Il est alors possible de s’en servir pour évaluer la performance environnementale d'un bâtiment dans son ensemble. Il est également possible de les utiliser pour comparer différentes solutions de conception. En France, en plus des DEP, il existe aussi les FDES (Fiche de Déclaration Environnementale et Sanitaire). Contrairement à une DEP qui ne contient que des informations environnementales, une FDES contient également des informations liées à la santé.
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La quantification des impacts environnementaux d’un bâtiment par l’ACV comprend plusieurs étapes. Après avoir défini le système à étudier, il faut dresser son inventaire d’avant-plan. Cela consiste à répertorier, entre autres, les matériaux et leur quantité utilisée pour construire le bâtiment. On peut aussi évaluer plusieurs scénarios de maintenance, de durée de vie et de fin de vie de ces matériaux pour les comparer par la suite. Lorsque l'inventaire est défini, il est couplé à une base de données d’arrière-plan contenant des informations sur les flux élémentaires (ressources, émissions et déchets) des matériaux du système. Enfin, une méthode d’évaluation caractérise les flux élémentaires principalement définis par la base de données d’arrière-plan en impacts grâce à l’utilisation d’une méthode d’évaluation.
Le couplage entre l'inventaire d’avant-plan et la base de données d’arrière-plan, ainsi que la caractérisation des impacts nécessite l'utilisation d'un logiciel d’ACV. Selon le logiciel choisi, cela peut s'avérer assez coûteux. L’accès à la base de données d’arrière-plan peut l’être également. De plus, le processus de liaison de l'inventaire à la base de données d'arrière-plan peut prendre beaucoup de temps.
L’utilisation des informations environnementales des DEP pour estimer les impacts des bâtiments peut par conséquent simplifier grandement le processus (figure). La définition de l'inventaire est similaire à celle d'une ACV complète, mais il n'est pas nécessaire de la lier à une base de données d’arrière-plan ni de réaliser l’évaluation des impacts. Les impacts associés aux produits peuvent directement être extraits de leur DEP, puis être mis à l’échelle du bâtiment et additionnés entre eux. En utilisant les DEP, disponibles gratuitement, l'obtention d'informations environnementales devient moins longue et moins coûteuse.
Bien qu'il puisse sembler avantageux d'utiliser les DEP pour évaluer la performance environnementale d'un bâtiment, un article scientifique récemment publié montre que ce n'est pas aussi simple qu'on le pensait initialement (Konradsen et al. 2024). En effet, il existe un grand nombre d'ensembles de règles encadrant l’élaboration des DEP qui ne sont pas harmonisés entre eux. Chaque ensemble de règles fait référence à des choix de modélisation légèrement différents. En effectuant l’ACV d'un produit, en l'occurrence une fenêtre, les auteurs ont prouvé que les différences de choix de modélisation d’un ensemble de règles à l’autre aboutissaient à des résultats d’ACV différents. Cela signifie que les informations environnementales déclarées dans les DEP d’un seul et même produit peuvent varier selon l'ensemble de règles choisi.
Konradsen et al. ont souligné comment les différences dans les choix de modélisation sont liées à divers aspects de la méthodologie d’ACV :
- Différentes bases de données d’arrière-plan peuvent être utilisées, ce qui peut entraîner des problèmes de comparabilité.
- Le choix du mix énergétique varie selon les différents ensembles de règles des DEP. Par exemple, certains ensembles de règles autorisent l’utilisation de certificats d’énergie « verte ». Cela signifie que le fabricant du produit peut acheter des certificats d'énergie renouvelable et ainsi modéliser la DEP comme si de l'électricité provenant de sources renouvelables était utilisée à la place du mix énergétique résiduel.
- La durée de vie supposée du produit varie également selon les ensembles de règles, tout comme les scénarios de fin de vie possibles (incinération, recyclage, etc.). Ces aspects contribuent tous aux problèmes de comparabilité entre les différentes DEP.
Konradsen et al. ont conclu qu'il existait des indications selon lesquelles les DEP n’étaient pas comparables et que, dans le pire des cas, les fabricants pourraient tourner à leur avantage les différences méthodologiques des ensembles de règles. De plus, l’utilisation des données des DEP pour estimer les impacts environnementaux d’un bâtiment comporte son lot d’incertitudes. Même s’il y a des avantages en termes de temps et d’argent à utiliser les DEP pour obtenir des informations environnementales sur un bâtiment, il faut être conscient que les informations qu’elles contiennent sont influencées par l'ensemble de règles qui encadre son élaboration. Par conséquent, jusqu'à ce qu'une plus grande harmonisation du système des DEP soit atteinte, je recommanderais de n'utiliser les DEP que pour le dépistage et les estimations initiales et d’utiliser la méthode d’ACV complète lorsqu’une évaluation des impacts environnementaux finale est nécessaire.
Par Kikki Lambrecht Ipsen, candidate au doctorat au LIRIDE (Université de Sherbrooke).