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Les enfants des États-Unis continueront-ils d’avoir un accès universel et gratuit aux vaccins contre les maladies infantiles? Coup sur coup, deux décisions ont ébranlé cette certitude. La mise à pied, le 9 juin, des 17 membres d’un groupe d’experts dont l’existence remonte à 1964, et leur remplacement, deux jours plus tard, par des non-experts, dont certains ont carrément nié l’utilité des vaccins.

« Je suis très, très inquiète des jeunes enfants de ce pays », a réagi la Dr Helen Chu, professeure de médecine à l’Université de Washington, et l’une des ex-membres du comité aviseur d'experts en question (Advisory Committee on Immunization Practices). La tâche première de celui-ci a toujours été de recommander au gouvernement quels vaccins doivent être administrés, à quels groupes d’âge et quand. Si ces nouveaux membres, nommés par le ministre de la Santé Robert F. Kennedy Jr, « ne croient pas aux vaccins, je pense que cela nous place dans une situation très dangereuse ». 

Pour deux raisons. 

  • D’une part, parce que les compagnies d’assurance s’appuient sur ces recommandations pour déterminer quels vaccins sont remboursés. On pourrait donc se retrouver dans une situation où les segments les plus pauvres de la population seraient moins vaccinés, faute de pouvoir payer. « Vous auriez essentiellement un système à deux vitesses, où les gens qui en ont les moyens pourront acheter leurs propres vaccins », déplore la pédiatre de l’Université Stanford Yvonne Maldonado, dans le New York Times.
     
  • D’autre part, à cause de l’hésitation vaccinale. Une portion significative de la population n’est pas fermement opposée aux vaccins, mais inquiète, incertaine, craintive. Or, un ministre de la Santé qui place sur un tel comité des gens qui ont publié des faussetés sur les vaccins, contribue à légitimer ces inquiétudes, et le nombre de parents qui refusent de faire vacciner leurs enfants va augmenter. « Qu’il l’admette ou non », écrit Katherine Wu dans The Atlantic, Kennedy sert l’objectif principal du mouvement antivaccin: éroder l’accès à l’immunisation, et la confiance ». 

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Cette érosion de l’accès et de la confiance surgit de plus dans un contexte où une éclosion de rougeole au Texas bat des records, et où la coqueluche est en hausse par rapport à l’an dernier. Et les États-Unis ne sont pas un cas unique en Occident. 

Des non-experts sur un comité d’experts

Parmi les huit personnes dont RFK a annoncé la nomination le 11 juin, deux jours après avoir mis à pied l’ensemble des membres du comité, on retrouve

  • deux personnes qui ont été rémunérées comme « témoins » dans le cadre de poursuites contre la compagnie pharmaceutique Merck pour ses vaccins contre la rougeole et contre le virus du papillome humain; les poursuites ont été rejetées par les tribunaux; l’un des deux, Robert Malone, s’est de plus fait connaître pendant la COVID comme un influent propagateur de fausses informations —il affirme que les vaccins contre la COVID ont tué des millions de personnes— et de théories du complot; l’autre, le statisticien Martin Kulldorff, était le co-initiateur de la Déclaration de Great Barrington, celle qui, en 2020, en appelait à laisser la COVID se répandre dans la population
  • une infirmière, Vicky Pebsworth, qui siège sur le conseil d'administration d’un organisme qui, ces dernières années, s’est fait connaître pour son opposition à la vaccination;
  • un médecin, Michael A. Ross, qui a été présenté par RFK le 11 juin comme un professeur d’obstétrique et de gynécologie dans deux universités, mais dont il s’avère qu’il n’est embauché ni par l’une ni par l’autre;
  • un « auteur, médecin et musicien » (selon son site web), James Pagano, retraité, dont les seuls écrits sur la santé qui ont été trouvés par les journalistes consistent en deux romans. 

La revue Science a publié le 13 juin une compilation des études sur les vaccins publiées par ces huit nouvelles personnes: cela représente 78% moins d’études que ce qu’avaient publié les 17 membres mis à pied. Pour ceux-ci, la moyenne du nombre de recherches publiées était de 49, dont deux qui en avaient publiées plus de 150. Pour les huit nouveaux venus, la moyenne est de 11, dont quatre n’ont publié aucune étude. 

Traditionnellement, il fallait des années à un expert avant d’accéder au comité aviseur en question: là comme ailleurs en science, le statut d’expert s’acquiert en effet à travers la publication d’études de qualité, commentées et critiquées par d’autres experts. Mais en ce moment, poursuit Katherine Wu, « alors que les perceptions sur les vaccins des groupes marginaux deviennent la prise de position du gouvernement, les Américains pourraient bientôt avoir à choisir entre suivre la science ou suivre ce que leurs dirigeants politiques leur disent. »

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