L’Analyse du Cycle de Vie (ACV) permet d’analyser les impacts environnementaux d’un produit tout au long de son cycle de vie. L’Évaluation des Impacts du Cycle de Vie (EICV) est l’étape au cours de laquelle les émissions de polluants sont traduites en impacts sur l’environnement. Bien souvent, ce sont plusieurs centaines de polluants qui sont considérés. Pour faciliter l’interprétation des résultats, les impacts environnementaux de chaque polluant sont quantifiés selon des unités se rapportant à un polluant de référence. Par exemple, l’unité de mesure de l’impact sur le réchauffement climatique est le CO2 équivalent. Chaque émission de polluant qui participe au changement climatique sera donc convertie en CO2 équivalent en utilisant un facteur de caractérisation (FC). À titre d’illustration, un kilogramme de méthane contribue au changement climatique environ autant que 30 kilogrammes de CO2 ; le FC de l’impact sur le changement climatique du méthane est donc de 30 kilogrammes de CO2 équivalent par kilogramme de méthane.
L’outil qui contient les FC de chaque polluant contribuant à un impact environnemental donné est appelé une méthode d’EICV. Il existe une grande variété d’impacts environnementaux et donc de méthodes d’EICV qui proposent des moyens de les quantifier, réparties selon des catégories d’impacts (CI). Chaque méthode d’EICV s’appuie sur plusieurs modèles physiques, chimiques et biologiques. Chaque modèle est utilisé de manière séquentielle, formant un chemin d’impact, depuis l’émission du polluant jusqu’à son impact environnemental, tel que présenté dans la figure 1. Historiquement, les méthodes d’EICV proposaient des valeurs dites génériques, modélisées d’après les modèles et paramètres disponibles, appliquées indifféremment de la région géographique concernée. Cependant, très tôt, il a été avancé que pour certaines catégories d’impact, il serait nécessaire de développer des modèles permettant de différencier les impacts selon les régions. En effet, selon la fenêtre de temps considérée et des propriétés propres aux polluants, ceux-ci auront un impact selon une portée spatiale et temporelle différente. Ainsi, certains impacts ont des effets locaux, comme c’est le cas pour l’acidification ou l’eutrophisation par exemple, et des effets mondiaux, comme pour le réchauffement climatique.
Avec le développement de l’ACV et des capacités de calcul, de plus en plus d’outils et de modèles ont vu le jour. Cela a permis le développement de méthodes d’EICV dites régionalisées, qui différencient les impacts selon le lieu d’émission des polluants. En pratique, chaque modèle fonctionne sur la base d’un découpage du monde en éléments géographiques, dont la taille est appelée résolution. Chaque modèle ou presque a une résolution qui lui est propre. Cela dépend à la fois de la nature des phénomènes physiques simulés, du niveau de précision des bases de données utilisées ou encore des frontières naturelles telles que les bassins hydrographiques, les écorégions ou les continents. Par exemple, pour le cas de l’eutrophisation comme présenté en figure 2, la résolution fournie est selon un quadrillage autour de la terre, avec des dimensions spécifiées de 2° de latitude par 2,5° de longitude. Toutefois, bien souvent, du fait du contexte de la conduite des ACV, les lieux où se déroulent les processus ne sont pas tous connus avec précision. Ainsi, la question de la résolution juste et suffisante a été avancée.
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Le choix qui s’est peu à peu imposé a été de proposer une résolution au niveau d’un pays. Ainsi, pour chaque CI, plutôt que de recalculer des FC à la résolution d’un pays, les FC existants sont agrégés. Cette agrégation est basée sur la contribution de chaque élément géographique au total des émissions de polluants dans le pays du fait de l’activité humaine. Autrement dit, cette pondération permet de traduire la probabilité que les polluants soient émis dans l’un ou l’autre des éléments géographiques au sein du pays concerné. Ainsi, les FC agrégés sont davantage représentatifs des régions les plus émettrices du pays, qui sont souvent les plus peuplées. Cela devient problématique lorsque l’on considère des pays vastes et des régions isolées, comme les régions Arctiques du Canada. Si l’on modélise un processus ayant lieu dans une de ces régions isolées, il est fort probable que les impacts calculés à la résolution du pays ne soient pas représentatifs de leur contexte, mais de celui de régions plus peuplées, parfois à plusieurs milliers de kilomètres de là.
En ce sens, une méthodologie d’EICV dédiée à la région Arctique du Nunavik a été développée au LIRIDE. Cette méthodologie rassemble des facteurs de caractérisation, à une résolution commune, pour 11 CI différentes, d’après des modèles réputés et recommandés. Cette méthodologie a été appliquée dans des cas d’étude portant différents systèmes de production d’énergie dans la communauté de Quaqtaq au Nunavik. Cela a permis de constater des différences dans les impacts calculés de l’ordre de plusieurs ordres de grandeur par rapport aux méthodologies existantes. Il a même été observé, dans le cas d’une comparaison de plusieurs systèmes énergétiques, une inversion de conclusion quant à la solution la plus favorable pour l’environnement. Cependant, les résultats ont également montré que dans le cas de produits au cycle de vie multirégional, les différences peuvent être masquées par des impacts majoritaires dans une région plus peuplée et au climat moins extrême. Ce projet du LIRIDE a donc permis de montrer que l’influence de la régionalisation de l’EICV à l’échelle régionale sur les résultats d’ACV en contexte arctique pouvait grandement varier selon le cas à l’étude. Le développement et l’application de méthodologies d’EICV requièrent des compétences spécifiques, de nombreuses données et beaucoup de temps. Il est donc fondamental de continuer de travailler en ce sens pour s’assurer que l’ACV demeure un outil robuste et fiable lorsqu’il s’agit des régions isolées comme celles de l’Arctique.
Par Edgar Sergues, candidat au doctorat au LIRIDE (Université de Sherbrooke).