Depuis que j’en ai fait la lecture cet été (entre autres sur l’Île-aux-lièvres au milieu de notre beau fleuve St-Laurent, voir la photo ci-dessus !), je voulais parler ici du fascinant ouvrage de Jean-Michel Truong, « L’IA, et après ? », sous-titré « Imiter la raison. Former un cerveau. Laisser germer la vie. ». Mais je repoussais la chose, soit pour vous tenir informés des clubs de lecture mensuels de mon livre, soit parce que je me demandais comment rendre justice à cet ouvrage qui m’avait tant éclairé. Mais ce matin je vais vous en parler parce que j’ai compris que je n’ai au fond pas grand-chose à écrire de mieux que le résumé de la 4e de couverture, tellement il va à l’essentiel de cet ouvrage qui réussit le tour de force de vulgariser sans la réduire la complexité historiques des grands paradigmes de l’intelligence artificielle. Je me contenterai donc de donner juste un peu de contexte, en commençant par une petite anecdote personnelle sur ma rencontre avec ce personnage inclassable qu’est Jean-Michel Truong, expert en IA mais pas que, loin de là ! Mais le « take home message » à la fin de ce billet, si vous permettez que je vous divulgâche l’affaire en bon journaliste qui doit donner son punch en premier, c’est que si vous vous voulez vous faire raconter « from the horse’s mouth » (je sais pas pourquoi ces expressions anglaises s’invitent ici…) l’histoire de ce qu’on appelle « l’intelligence artificielle » par une belle intelligence humaine qui sait parler à la vôtre, eh bien je vous conseille de lire ces quelques deux cents petites pages…
Sur l’auteur donc, on peut d’abord reprendre sa bio au bas de son article « L’Été indien de l’intelligence artificielle » dont je vous reparlerai plus bas :
Analyste des technologies du dépassement de l’Homme au travers de romans d’anticipation rien moins que prophétiques, consultant auprès d’entreprises européennes de haute technologie en Chine, essayiste et auteur d’un projet de réforme des finances publiques, pionnier de l’intelligence artificielle en Europe aux manettes de la société Cognitech dès 1985 et philosophe de formation, Jean-Michel Truong défie toute tentative de catégorisation.
Mais pour moi, il restera toujours avant tout l’auteur « Totalement inhumaine » (2001), cet essai dérangeant sur l’évolution humaine, ses pires dérives et son futur peut-être inhumain, pour le pire… ou le meilleur ? Et un exemple d’humain d’une grande gentillesse (mais impitoyable avec la bêtise mortifère des puissants) que j’ai eu la chance de rencontrer une fois à titre de recherchiste d’un projet de film sur ce bouquin qui n’a malheureusement jamais abouti. Je le suis depuis ce temps sur Facebook où sa sensibilité pour le beau et sa lucidité sur notre monde ne m’ont pratiquement jamais déçu.
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C’est vous dire à quel point je fus heureux d’apprendre au début de l’année qu’il publiait ce « précis » sur l’IA, qui plus est le domaine qu’il suit à la loupe depuis près d’un demi-siècle (et qu’il a pour ainsi dire contribué à fonder). Après toute cette entrée en matière élogieuse, vous vous attendez peut-être à quelques « pots » ou « bémol ». Eh bien non, je n’en ai même pas de notables, le livre ayant été globalement à la hauteur de mes attentes ! C’est certain que Truong a ses préoccupations, ses obsessions j’allais dire, et moi les miennes, qui diffèrent un peu. Et que sur tout l’aspect prospectif ou spéculatif sur la destinée de la « drôle » de bibitte humaine, il y a de la place pour plusieurs intuitions. Mais les siennes, qui transcendent un certain « chauvinisme » naturel propre à notre « nature humaine », a au moins le mérite de nous suggérer un recul sur le fait humain qui, en tout cas pour moi, ouvre d’étonnantes perspectives. Du genre qui inspirent un sentiment encore une fois mieux rendu en anglais, celui du « awe », ce mélange d’admiration et d’étonnement, de révérence et de respect pour plus grand que soi.
Mais ça c’est ce que j’ai surtout ressenti à la fin de Totalement inhumaine, et un peu aussi à la suite de l’IA’ et après ?, mais peut-être dans une moindre mesure, car le souci ici est vraiment de faire œuvre pédagogique en résumant l’essentiel des idées qui ont animé les scientifiques qui tentent depuis au moins trois quart de siècle de copier dans des machines nos processus de pensée. Et sous cet angle, le pari de cette démarche semble fort réussi pour le « néophyte informé », disons ça comme ça, que je suis.
Voici donc le résumé du livre tel que proposé par l’auteur et l’éditeur à l’endos de l’ouvrage, dont la clarté renvoie à celle de l’ouvrage tout entier :
L’intelligence artificielle : d’où elle vient, comment elle se présente et où elle va.
Cet ouvrage a pour ambition de fournir au lecteur, dans un langage accessible, les connaissances utiles à une pleine appréhension du « phénomène intelligence artificielle » submergeant actuellement les médias. Trois grands courants de pensée rivalisent depuis la Seconde Guerre mondiale pour créer une « machine pensante » : le cognitivisme, qui conçoit l’intelligence comme la capacité à raisonner logiquement sur des faits à l’aide de connaissances expertes ; le connexionnisme, pour qui l’intelligence est le fruit de l’apprentissage de réseaux de neurones ; et enfin l’évolutionnisme, qui professe que l’intelligence est le produit d’une sélection au sein de populations d’individus capables d’adaptation et de coopération dans un environnement compétitif.
On expliquera avec des mots simples les solutions proposées par ces trois écoles. On présentera leurs succès majeurs, mais aussi les causes profondes de leurs échecs. On montrera notamment que le modèle connexionniste – illustré aujourd’hui par ChatGPT – a d’ores et déjà atteint ses limites.
Qu’adviendra-t-il de l’IA après les réseaux de neurones ? C’est du côté des évolutionnistes, oubliés depuis les années 1950, qu’il faudra chercher la réponse. Une authentique intelligence artificielle ne saurait émerger que d’une vie artificielle.
Pas grand-chose à ajouter par rapport à ce que j’écrivais par exemple bien plus succinctement dans l’encadré sur cette question dans « Notre cerveau à tous les niveaux« , des pages 49 à 53, où j’esquissais un bref survol des sciences cognitives au XXe siècle en commençant un peu plus tôt dans le siècle que ne le fait Truong pour parler du behaviorisme, et en abordant aussi l’approche « incarnée » de la cognition qui a vu le jour à la fin du siècle dans la foulée des travaux de Francisco Varela et de ses collègues sur ce qu’ils ont appelé « l’énaction ». Une approche qui considère d’ailleurs la cognition comme consubstantielle à la vie, une idée centrale de l’approche énactiviste qui s’accorde plutôt bien avec ce qu’entrevoit Truong en ce qui a trait à l’avènement éventuel d’une véritable intelligence artificielle générale. Et je vous laisse avec cet extrait de son article de février dernier dans LaSpirale.org où il écrit à ce sujet :
« Pour l’IA générative à la mode Altman, l’été indien n’aura duré que trente mois. Un nouvel hiver approche à grands pas. Combien de temps durera-t-il cette fois ? Lançons-nous : trente ans. Le temps qu’une nouvelle génération de chercheurs, pétrie d’idées neuves, s’empare du challenge, et qu’une nouvelle génération d’investisseurs, oublieuse des pertes passées et ne sachant où placer ses excédents, décide de les risquer sur ces idées.
Mais quelles idées ? Bien malin qui pourra le dire. Mais je serais prêt à parier que c’est du côté des neurosciences et de la biologie de l’évolution qu’elles émergeront. L’intelligence artificielle qui vient sera une branche des sciences de la vie. Avis aux collégiens. »





