L’hostilité à la vérification des faits (fact checking) s’invite même dans l’immigration aux États-Unis. Une nouvelle directive, divulguée le 2 décembre, ordonne aux diplomates de vérifier les CV ou les profils LinkedIn des candidats à un emploi aux États-Unis, et de refuser ceux qui ont travaillé autour de la lutte à la désinformation, la modération de contenus sur les plateformes ou le « fact checking ».
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Il s’agit des candidats qui font une demande en vertu du visa H-1B. Soit le visa qui permet aux employeurs américains d'embaucher des travailleurs étrangers pour des professions spécialisées. Il est particulièrement utilisé par les firmes de génie et de technologie et il permet à une personne embauchée de venir aux États-Unis avec sa famille. Les diplomates ont donc désormais pour directive de vérifier aussi les CV et les profils LinkedIn de la famille, ou les « apparitions dans des articles de médias ».
Pour justifier cette vérification inédite, la directive utilise « la censure » comme prétexte: lutte à la désinformation et vérification des faits seraient en effet « de la censure ou de la tentative de censurer la libre expression aux États-Unis ». La directive élargit même son énumération à « d’autres activités que l’administration Trump considère comme de la ‘censure’ ».
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Cette restriction à la liberté de parole s’inscrit dans une tendance plus large: depuis le début du deuxième mandat de Trump, des subventions à des projets de recherches scientifiques ont été annulées sur la seule base de mots-clefs choisis par l’administration, comme « désinformation », « COVID » ou « changements climatiques ». Quant aux attaques contre les universités, elles ont utilisé le prétexte de la lutte à la censure pour attaquer la liberté d’expression, soulignait dès avril dernier PEN America, un organisme dédié à la défense de la liberté d’expression. Enfin, une des clauses du « contrat » proposé en octobre par Washington à neuf universités dit que les professeurs, en-dehors de leurs cours, devraient s’empêcher de parler « d’événements sociaux et politiques », dénonce le Project Censored, autre organisme voué à la protection de la liberté de presse.
La directive du 3 décembre a été obtenue par un journaliste de l’agence de presse Reuters. Le média précise que la directive serait en fait applicable à tous les types de demandes de visas.
En réponse à une demande de la radio publique NPR, le département d’État —qui est, aux États-Unis, le ministère des Affaires étrangères— a répondu par un communiqué où on peut lire entre autres que « dans le passé, le président Trump lui-même a été la victime d’abus lorsque les compagnies de réseaux sociaux ont bloqué ses comptes ».
Les gens qui étudient la désinformation « ne font pas de la censure », explique à NPR l’avocate Carrie DeCell. « Ils sont engagés dans des activités que protège le Premier amendement. » DeCell est conseillère législative à l’Institut Knight d’étude du Premier amendement à l’Université Columbia. Le Premier amendement de la constitution américaine est celui qui érige la liberté d’expression en droit fondamental.
La modération des contenus sur les réseaux sociaux n’est pas non plus de la censure, avait rappelé en janvier dernier le Haut commissariat des Nations unies pour les droits humains: la désigner ainsi conduit à « ignorer le fait que des espaces sans régulation signifient que certaines personnes sont réduites au silence, en particulier celles dont les voix sont souvent marginalisées ». Ce communiqué avait été émis en réaction à la décision de la compagnie Meta de cesser de financer, aux États-Unis, les médias impliqués dans le « fact checking » sur Facebook.



