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L’Argentine vient de subir une défaite à la Coupe du monde de football au Brésil. Moment douloureux pour les Argentins étant donné la popularité de ce sport chez eux. Cependant, l’histoire de l’Argentine a connu des passages beaucoup plus noirs.

La «guerre sale» en Argentine

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En 1976, une junte militaire a renversé le gouvernement démocratiquement élu et l’Argentine fut le théâtre d’emprisonnements, de torture, d’enlèvements et de disparitions. On estime qu’entre 1976 et 1983, près de 30 000 personnes ont disparu, incluant jusqu’à 500 bébés et jeunes enfants. Ces derniers ont été mis en adoption à travers un réseau organisé par les militaires, soit par les militaires eux-mêmes soit par d’autres parents complices de la dictature en Argentine ou ailleurs. Lors de cette «guerre sale» comme on l’a nommée, les militaires voulaient nettoyer le pays de ses éléments «subversifs» (intellectuels, étudiants, journalistes, etc.) et s’assurer que leurs enfants ne soient pas élevés dans une idéologie libérale.

En 1977, les grands-mères des enfants disparus se sont mobilisées et ont formé l’Asociación de Abuelas de Plaza de Mayo (l’Association des grands-mères de la Place de Mai) pour retrouver leurs petits-enfants. Elles allaient manifester à la Plaza de Mayo à Buenos Aires et investiguaient toute information concernant des enfants clandestinement «adoptés». En 1984, après la défaite de l’Argentine dans la guerre des Malouines, la junte se retira et il y eut à nouveau des élections.

L’ADN mitochondrial

En 1984, la Comisión Nacional sobre la Desaparición de Personas (CONADEP) fut établie et les grands-mères ont réalisé qu’il fallait des méthodes scientifiques pour confirmer l’identité des enfants. On a fait appel à Mary-Claire King, une généticienne de l’Université de Berkeley en Californie, connue pour ses travaux sur le cancer du sein héréditaire. La stratégie utilisée pour résoudre les questions d’identité génétique fut le séquençage de l’ADN mitochondrial (ADNmt). Nous portons tous en nous deux génomes: nucléaire et mitochondrial. Le génome nucléaire contenu dans le noyau de nos cellules nous est transmis par nos deux parents, alors que nous héritons de notre génome mitochondrial presque exclusivement de notre mère que nous soyons mâle ou femelle (les mitochondries sont des organelles situées dans le cytoplasme de la cellule, qui contiennent un peu d’ADN et qui sont transmises au zygote via l’ovule). Ainsi, nous partageons notre ADNmt avec notre mère, frères, sœurs, tantes et oncles maternels, grand-mère maternelle et ainsi de suite en suivant la lignée maternelle. Donc, dans le contexte en Argentine où les deux parents étaient morts/disparus, si l’enfant enlevé avait un membre de famille survivant qui lui était apparenté à travers sa mère, alors l’ADNmt pouvait servir comme source d’ADN à des fins d’identification.

L’ADNmt offre trois autres avantages pour l’identification de personnes: 1) il contient des régions extrêmement variables d’une famille à une autre; ces régions sont partagées par les membres de la même famille maternelle, mais chaque lignée maternelle est presque unique; 2) il est plus facile à séquencer, car il est présent en une seule copie, alors qu’il y a deux copies de l’ADN nucléaire (l’hérédité biparentale oblige); et 3) il est présent en plus grande quantité dans une cellule que l’ADN nucléaire, donc si besoin est, on peut en extraire plus à partir d’un petit échantillon biologique (par exemple, à partir des os ou des dents de restes humains).

La Dre Mary-Claire King et son équipe ont établi une biobanque d’ADN et une base de données de séquences d’ADNmt de membres de familles cherchant un enfant kidnappé par les militaires (Banco Nacional de Datos Genéticos).

Guillermo né Rodolfo

Rosa est l’une des grands-mères de la Plaza de Mayo. Le 6 octobre 1978, les forces de sécurité ont arrêté sa fille Patricia et son gendre, Jose. Patricia était enceinte de 8 mois et, selon des témoins, elle donna naissance à un bébé garçon dans une prison clandestine. Elle le nomma Rodolfo. Patricia et Jose n’ont jamais été revus. Rosa, qui cherchait son petit-fils, a fourni un échantillon sanguin et sa séquence d’ADNmt était donc dans la base de données de la Dre King. En 1999, l’Asociación de Abuelas de Plaza de Mayo a reçu une information anonyme selon laquelle un jeune homme de 21 ans (Guillermo) avait probablement été victime d’une adoption illégale. Guillermo voulait participer à l’investigation et les résultats de l’analyse génétique ont montré que sa séquence d’ADNmt était identique à une seule autre dans la base de données qui contenait plus de 2000 séquences: c’était celle de Rosa. De plus, un test additionnel de confirmation a pu être fait, car Patricia et Jose avaient déjà une petite fille qui n’était pas à la maison lors des enlèvements et qui avait donc survécu. Les trois séquences d’ADNmt étaient identiques, mais différentes de toutes les autres séquences dans la base de données. Guillermo et Rodolfo sont donc une seule et même personne. La probabilité qu’il partage ce petit bout d’ADN avec sa grand-mère (ou sa sœur) par le hasard seulement est de 0,0005%. Rosa a pu retrouver son petit-fils après 22 ans de recherches et les soupçons de Guillermo sur ses origines ont été confirmés.

Grâce aux tests de filiation par l’ADNmt, plus de cent jeunes adultes connaissent maintenant leurs vraies origines. D’autres enfants ou parents «retrouvent» leurs disparus par le biais d’analyses génétiques effectuées sur plus de 600 squelettes qui ont été déterrés à travers les années. En 2009, sous la pression des grands-mères, le Congrès argentin a adopté une loi qui sème la controverse: toute personne qui est soupçonnée d’être l’enfant d’un ou d’une disparue peut être forcée de fournir un échantillon sanguin pour analyse. Un conflit très médiatisé s’en est suivi lorsque les deux enfants de la propriétaire d’un puissant conglomérat de médias, soupçonnés d’avoir été enlevés par les militaires, devaient fournir un échantillon sanguin contre leur gré. Certains s’interrogeaient sur l’aspect obligatoire des tests génétiques: est-ce que le désir de vérité des grands-parents est plus important que le droit à la vie privée des enfants adultes? Les grands-mères affirment qu’elles veulent simplement que la vérité soit connue et non pas changer la vie de ces jeunes adultes. D’autres affirment qu’il est immoral d’imposer à une personne l’information sur ses origines génétiques.

Le laboratoire de Mary-Claire King, qui a perfectionné la technique d’extraction et de séquençage de l’ADNmt à partir de dents retrouvés dans des restes humains, continue de travailler avec des organisations défendant les droits humains et le Tribunal des crimes de guerre des Nations Unies afin d’identifier des victimes de guerre et de génocides.

Information supplémentaire:

Subversive Genes: Re(con)stituting Identity, Family and Human Rights in Argentina, Lindsay Adams Smith, Harvard University, 2008

Grands-mères de la Place de mai

Génome mitochondrial

Mary-Claire King, biographie

A Conflict of Interests: Privacy, Truth, and Compulsory DNA Testing for Argentina’s Children of the Disappeared, Elizabeth B. Ludwin King, Cornell International Law Journal, 2011

• Film primé à Hollywood et à Cannes: L’Histoire officielle (La Historia Oficial)

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