Traditionnellement, le Nobel de médecine consacre une découverte vieille de deux ou trois décennies, dont le passage du temps a démontré l’immense portée. Cette fois, il a fallu moins d’une décennie pour que l’industrie ne s’empare de la découverte et ne tente d’en extraire des médicaments contre des maux aussi divers que le sida, la grippe et l’hépatite.

On appelle cette découverte, en termes clairs, "faire taire un gène". Sachant que la tâche d’un gène est de produire des protéines, et que c’est souvent la surproduction de ces protéines qui signale un gène défectueux, en 1998, Craig Mello, de l’Université du Massachusetts et Andrew Fire, de l’Université Stanford (Californie) ont découvert qu’il était possible, au moyen de ce qu’on appelle l’ARN interférence (voir encadré), de "bloquer" un gène.

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En d’autres termes, ils ont annoncé à une communauté scientifique stupéfaite qu’il était théoriquement possible de réduire un gène au silence.

Immédiatement, des investisseurs ont flairé la bonne affaire: pourrait-on produire un médicament capable de réduire au silence un "mauvais" gène, responsable d’une maladie?

Résultat: aujourd’hui, on compte déjà huit brevets déposés aux États Unis et en Europe. Une demi-douzaine de firmes de biotechnologie travaillent là-dessus. Et trois en sont à tester des médicaments expérimentaux. À elle seule, la firme américaine Nucleonics Inc. (basée en Pennsylvanie) a reçu en 2005 des investissements de 50 millions$ pour démarrer des essais cliniques d’un médicament expérimental contre l’hépatite.

Mais il ne faut pas rêver en couleurs non plus, prévenait lundi Andrew Fire. Le fait qu’il soit en théorie possible de bloquer un gène impliqué dans la production d’une protéine qui est elle-même impliquée dans la croissance d’un cancer, ne signifie pas qu’on soit à deux doigts de développer un traitement contre le cancer.

Entre autres problèmes, depuis 1998, les scientifiques se sont aperçus qu’un fragment d’ARN est un million de fois plus fragile qu’un fragment d’ADN. Pas pratique pour l’envoyer en mission dans le corps humain...

L’Associated Press rapportait par ailleurs lundi que les compagnies mentionnées plus haut perdent toutes de l’argent dans cette quête autour de l’ARN interférence. Le médicament auquel elles rêvent ne verra pas le jour avant les années 2010, si jamais il voit le jour. En attendant, un Nobel leur permet de faire grimper la valeur de leurs actions et ainsi, de patienter quelques années de plus.

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